L’Humeur du Lundi #22 – Scalped, Preacher & les séries TV

Les plus âgés de nos lecteurs ont peut-être en tête le souvenir d’une époque différente vis a vis des médias d’information et de divertissement – une époque de l’avant-internet. Cette ère, qui se tînt il y a de nombreuses lunes si l’on en croit le sorcier de la tribu, était celle des onze premières nation, où l’esprit du lièvre sous la montagne ne pouvait s’enjailler qu’une fois par semaine devant Ally McBeal, et malheureusement, c’était souvent sur le câble et sans rediffusions. Arriva alors l’attrape-rêve des babtous fragiles (on l’appelait « modem » chez les Apaches du Nord), et se bâtit alors chez ces guerriers anciens l’adoration du donateur Megaupload et de ses nombreux enfants, Rapidshare, 1fichier, Uptobox et l’esprit du Torrent, qui redescend la montagne avec toutes les saisons des Sopranos.

Trêve de radotage, et si le téléchargement n’est en fait qu’un des nombreux éléments de réponses à la mutation constatée des séries TV au XXIème siècle, force est de constater que celles-ci ont pris une place de plus en plus importante dans le paysage culturel. Une info’ qui a, en plus, l’avantage de se colorer de tout un tas de données sympatoches : les séries TV qui attirent le public en général sont globalement admises comme de bonne qualité, et quoi que restent de forts pics d’audiences sur des produits de chaînes de moindre envergure, le monde du sérialisé a attiré au fil des ans de plus en plus de réalisateurs, acteurs et scénaristes, venus du haut du panier de l’autre art filmique, le cinéma.

Tous deux marchent désormais main dans la main pour une gigantesque maximisation de profits, et un équilibre presque harmonieux entre la bulle de rentabilité de l’écosystème Hollywoodien, mais aussi celui de plus petites productions. Il n’y a jamais eu autant de séries TV qu’à l’heure actuelle, ni autant de très bonnes propositions, faut il le préciser, dans des genres aussi variés. A l’heure du web, du replay et des offres de streaming, où la VO a fini par être acceptée par le public (malgré quelques réticences initiales), la série TV finit même par se présenter comme une alternative possible aux fans de grand spectacle, qui peinent à trouver leur compte dans l’offre des longs-métrages produits régulièrement. Game of Thrones recouvrant par exemple le genre de la saga de Fantasy, dont Hollywood peine à satisfaire la demande depuis la trilogie Tolkien, et on peut aussi penser à Walking Dead dans le genre du zombie, là aussi un genre qui tent à se raréfier après des années de sur-production. Et le super-héros, dans tout ça, est ce qu’il en profite ?

La réponse à cette question dépendra de vos goûts et préférences – mettons, pour ne vexer personne, que le constat est partagé. Mais, dans l’ensemble, si DC a échoué (haha, pardon, je veux dire « aux yeux de certains ») à proposer un contenu de qualité avec ses héros en collants, une question qui se pose moins souvent est : que faire de tout le reste ? Les autres productions, celles qui auraient plutôt tendance à intéresser les « pointus » de la série TV toujours en quête d’une nouvelle perle à leur collier, qui surconsomment et bingewatchent comme des sales. Pour ces gens là, le sauvetage d’un DC problématique dans la glue acide de Greg Berlanti pourrait peut-être être trouvé du côté de Vertigo.

Les gentils ont toujours tort

Ce qui a plu à une partie du public, au cours de ces quinze dernières années de création télévisuelle, est d’une certaine façon, sine qua non de ce qui pourrait se faire à l’écran. L’ambiguïté morale. Depuis la fameuse famille Soprano et sa conclusion qui, déjà à l’époque, coupa les premières pierres du web en deux, à Dexter, Breaking Bad ou aux bikers des Sons, la dualité d’un anti-héros sur la pente du crime, de la violence ou de l’amoralité reflète à sa façon les envies d’un public dans une société en mutation. L’arrivée constante d’informations (là encore, liée au web) et la réalité d’un monde aux enjeux plus flous que ce qu’on pu connaître les parents de millions d’Américains empêtrés dans des décennies de conflits présentés comme manichéens, la défiance d’un monde politique qui ne fédère plus, la trahison d’une économie de plus en plus instable – des sujets qui sont d’ailleurs évoqués dans moult séries TV de manière hyper frontale – en somme, une perte de repères qui peut en partie expliquer le succès du salaud identifiable, du méchant qu’on aime suivre et voir partir en vrille, ou d’une manière générale, de la peinture sur plusieurs années d’un monde hyper ambigu.

Et ce à différentes échelles. Des pilules de House, série ultra formatée en procédural médical très grand public, à ascension fulgurante de Frank Underwood, aux peregrinations d’un cannibale follement charismatique sous les traits d’un Mads impeccable (comme d’hab). La déconstruction relative de codes, du modèle de héros à l’Américaine ou du héros de tous les jours. Même l’appropriation de codes plus féminins (par des femmes, pour d’autres femmes), loin du cliché de séries romantiques ou de clichés établis il y a longtemps, depuis Sex & the City jusqu’à Girls, avec une réinvention assez récente de la manière de concevoir la problématique amoureuse, chez les losers trentenaires que nous sommes (ou sommes amenés à devenir).

Bref, dans ce grand méli-mélo de génie et de variété, le clampin en collant peine – un problème qu’on peut aussi isoler en comics – à se mettre à la page. Non pas que les super-héros n’aient rien de social, d’intéressant ou de complexe à traiter, loin de là, et c’était même une partie du propos du Batman dépressif de la dernière et seule bonne trilogie DC des années 2000. Mais, confiée à une chaîne qui s’épanouit dans un ciblage d’adolescents, n’a pas peur d’embrasser le cliché et peine à renouveler sa manière de faire ou de concevoir les rapports humains, aboutit à un statu de quasi auto-parodie. Flash, c’est cool, Arrow, c’est sombre, Legends of Tomorrow c’est (qualificatif random pour dire que je n’aime pas), et c’est à peu près tout. Même constat pour une proposition comme Lucifer, qui va jouer sur l’aspect ambigu du Diable de Gaiman et Carey, en ne prenant que la superficialité des choses, pour au final proposer un Elementary contre-plaqué aux vagues relents religieux.

Dans tout ce qui s’est fait des pages au petit écran récemment, on observe d’ailleurs que c’est justement ceux qui ont essayé de donner une identité propre à leur bébé que le public a eu tendance à se tourner. Du côté des Daredevil et Jessica Jones (quoi que celle ci ait également divisé pour ses facilités de scénario), et chez les fans de DC qui continuent de refuser le simpliste, avec une première saison de Preacher dans l’ensemble plutôt réussie. A une époque, là encore, peut-être que les anciens s’en souviennent, on a pu voir dans les comics « mainstream » de super-héros une tendance aux scénar’ archétypaux, aux héros trop typés muscles et sexy et à une certaine décroissance de qualité : les années 1990. Que ce regard qu’on porte aujourd’hui soit avéré ou non (on va dire que dans l’ensemble, c’est un résumé qui tient beaucoup à la mémoire sélective), peu de gens semblent se souvenir que c’est aussi la décennie où est apparu l’éditeur Dark Horse ou l’enclave du sous-DC, Vertigo.

Peut-être, puisque l’algorithme Goyer / Johns / Berlanti semble gripper au démarrage, que c’est aussi dans cette partie plus obscure, moins pétaradante et plus discrète que sont à attendre les succès d’aujourd’hui et demain, pour peu que le public puisse aller au delà de l’absence de super-héros pour consentir à les regarder.

What kind of Preacher’re you ?

Côté Preacher, c’est la chaîne AMC qui a donné le feu vert au projet après des années à errer dans les couloirs de différents studios. On y a découvert un Seth Rogen transformé, qui a non seulement renoncé à sa patine d’humour gras (certains ont même reproché à cette première saison un manque flagrant de déconnade vis-à-vis du comics), un casting investi et quelques ressemblances dans la photo ou la narration avec les séries de Vince Gilligan, talentueux papa de Walter White et Saul Goodman sous la même enseigne. Le filtre jaune et une économie de moyen ont eux ramené le public à une version petit budget de Walking Dead, quoi que la série ait réussi au fil d’un dur labeur à se forger sa propre identité – celle du comics, une oeuvre qui traite d’amour, de religion et de l’Amérique, dans un paysage post-western crasseux où s’enchaînent les bouteilles de jack et les clopes et où deux trois gogos crament en chemin.

En attendant de transformer l’essai avec une seconde saison déjà en chantier, les info’ se sont remises à abonder du côté de WGN America, petite chaîne câblée de Chicago qui avait il y a quelques années parlé d’acheter les droits du comic Scalped, de Jason Aaron et R.M. Guerra. Après la commande d’un pilote, qui ne valide en rien l’existence d’une première saison, on a annoncé le nom des réalisateurs en les personnes de Bilal Fallah et Adil El Arbi, auteurs de l’excellent Black, avec Lily Gladstone de Certaines Femmes (allez le voir, c’est lent mais bien) et Alex Meraz de Twilight et Suicide Squad (ouais, bon) dans les rôles principaux.

Là-dessus, puisque je ne vois personne sauter au plafond, il convient de faire ce que les politiciens malhonnêtes appellent « de la pédagogie ». La série Scalped raconte en une dizaine de volumes le retour au pays de l’agent du FBI Dashiell Bad Horse, un amérindien qui a grandi dans la réserve de Prairie Rose. Ses supérieurs l’y renvoient sous couverture, pour faire tomber le trafic du parrain du crime local et chef de la police tribale, Red Crow, également un ami de sa mère. Inspirée par le western, le polar noir et le film d’infiltré Hong-Kongais, la série évoque en soixante numéros la réalité sociale des réserves dans une Amérique qui a laissé de côté le « problème indien », refusant d’affronter les vieux démons de son Histoire et un génocide qu’elle a juste foutu sous le tapis. Véritables zones de non-droit, ces ghettos où se bousculent illettrisme, délinquance, alcoolisme et crime organisé sont le terrain de jeu d’une rixe entre Red Crow et le conseil tribal autour de l’ouverture d’un casino censé redonner des emplois et un statut économique à la réserve, ainsi qu’entre le chef et les différentes organisations mafieuses avec qui il s’est associé.

Dans ce joyeux mélange de sang, de trafic et d’investigation sociale, Scalped est aussi une magnifique série de planches signées par le génial Guerra, qui donne à ses héros et à Prairie Rose la teinte magnifique de l’Amérique profonde, celle que le fucking white male colonisateur a eu le bon goût de ne pas toucher. C’est beau, c’est violent, c’est bien – et ça rendrait super en série TV. Ajouté à cette proposition séduisante la production de Doug Jung et le talent de deux réalisateurs qui ont tout pour réussir au moins un bon premier épisode. Le premier s’est illustré sur Banshee, une série qui traite elle aussi de manière frontale une question similaire sur les ghettos indiens, et Black du côté des auteurs, est un magnifique film de voyous entre La Haine et Roméo & Juliette, riche de jolis plans et d’une histoire bien exécutée sur la délinquance de Bruxelles. Fallah et El Arbi y traitent aussi de la question de l’immigration, de ne pas se sentir chez soi dans son propre pays, et du jeu du langage entre le wallon, le flammand, l’arabe et les langues Africaines des différents protagonistes. Ca aussi, c’est cool, matez le si vous avez deux minutes.

En fait, à l’instar de Preacher, rien ne semble s’opposer à ce que le projet aboutisse et soit une franche réussite, à l’exception du budget que la chaîne, pas forcément fortunée, décidera d’allouer. Et après ces deux propositions, on peut espérer dans un avenir incertain, voir Y le Dernier Homme, de l’immense Brian K. Vaughan, franchir à son tour la porte chrominante du petit écran – qui sait, sur FX ? Hé, ce serait cool ça aussi, non ?

Faut pas faire confiance aux mecs qui portent un masque

Cette dernière citation d’inter-titres (qu’on doit à André le Géant dans Princess Bride, bravo aux deux qui avaient trouvé. La tombola continue pour celui qui me dira de quelle adaptation de comics la première était tirée) résume assez bien la situation pour le DC Comics du petit écran aujourd’hui. On l’a dit, et il n’est pas inutile de le répéter : en 2017, l’animation semble reprendre des couleurs, entre le succès modeste mais réel de Justice League Action, la continuation de Teen Titans Go! et le retour prochain de Young Justice, ajouté à des projets comme Batman/Harley où on espère un Bruce Timm en forme (mais moins dégueulasse), preuve que, comme avec le DC Rebirth, du bien peut aboutir de longues années de charnier.

Dès lors, puisque la CW refuse de faire faillite – et ça me ferait mal maintenant que j’ai commencé Riverdale – il y a encore tout le reste. Des chaînes qui ne demandent qu’à bien faire en adaptant des scénario pré-écrits et dont la tonalité semble faite pour cette ère hyper créative de télévision et de streaming, parmi lesquels ceux de Vertigo et Image semblent déjà qualifiés. En outre, tant que la mode du Super est encore à l’ordre du jour, on peut aussi attendre du mieux si de chaînes plus exigeantes prennent en main les personnages de BD.

Même s’il reste peu probable de voir une série Watchmen fleurir du côté de HBO, on peut aussi croire que Geoff Johns n’aurait pas trahi le sacro-saint Moore de manière tout à fait innocente, puisque le marketing croisé est aussi une tendance de ces dernières années. Regardez de meilleures séries, lisez de bons comics et matez des films, et à la prochaine pour d’autres aventures.

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Corentin

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batloen
batloen
7 années il y a

Une série Nightwing sur AMC ou HBO ça serait trop cool (et pas la CW pitié).

Harle
Harle
7 années il y a

Je connais pas les dessous du deal mais y a-t-il quoi que ce soit d’exclusif à la relation entre Marvel et Netflix ? Est-il inimaginable de retrouver Hellblazer ou Batwoman sur Netflix un jour ?

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