DC Spotlight #6 – Kill Your Boyfriend

Je dois vous révéler un petit secret. Sur DC Planet, on aime Grant Morrison (si, je vous jure !) et il faut bien avouer qu’une chronique digne de ce nom ne peut pas éternellement continuer sans parler du créateur écossais. Avec ça en tête, la rentrée était donc une occasion trop belle pour manquer de revenir sur une oeuvre particulièrement à propos de notre chauve favori, puisqu’elle met en avant les affres de l’adolescence. Avec plus de trente ans de carrières, quelques chef d’oeuvres dans toutes les décennies, un ou deux comics ayant même changés la face du médium et une constance dans l’excellence, l’oeuvre de Grant Morrison n’est pas loin d’être la plus impressionnante dans la grande histoire des comicbooks. Forcément avec des titres aussi influents que All Star Superman, The Invisibles ou bien son run sur Batman, pour vous faire l’affront d’en citer quelques uns, il existe un tas de créations du génie, passées entre les mailles du filet et qui ne sont pas vues comme des immanquables. Kill Your Boyfriend, malgré son statut culte pour une certaine frange de lecteurs de bande dessinée, fait partie de ses oeuvres considérées comme mineures. Cependant, on parle bien de Morrison et en conséquence, même dans ses travaux de seconde zone, il existe bien des pépites et devinez quoi ? C’est totalement le cas de Kill Your Boyfriend.

Alors Kill your Boyfriend qu’est-ce que c’est ? Pour faire simple, il s’agit de l’histoire de The Girl, une adolescence vivant une existence décevante dans laquelle ses envies de rébellions ne se réalisent que dans ses fantasmes. Son copain est chiant, ses parents sont stupides (comme tous les parents quand on est adolescent, right ?!), bref, elle mène une vie banale, dans une ville banale, entouré de gens banals. Un beau jour, The Girl rencontre The Boy, ce dernier décide de la sortir de son quotidien de la plus belle des façons en tuant son copain et en l’emmenant, ensuite, dans un road trip aussi meurtrier que libérateur. S’ensuit soixante pages de rébellion adolescente extrême, le tout dans un maelström de références pop et mythologique. Pas l’histoire la plus originale, ni la plus fine qui soit vous en conviendrez. Seulement on ne parle pas de n’importe quel auteur mais bien de Morrison. Ce qui aurait alors pu être un portrait de personnage un peu insupportable pour tous lecteurs de plus de 25 ans (oui, il arrive un âge auquel on est trop vieux pour ces conneries) devient finalement une oeuvre jubilatoire, drôle et même parfois touchante. Publiée sous l’initiative qui aura la vie courte Vertigo Voices, qui avait pour but de laisser le champ libre à des auteurs pour exprimer leurs voix dans des one-shots, Kill Your Boyfriend est un récit sans bout de gras, qui va à l’essentiel en enchainant les punchlines et les dialogues plus cool que le plus cool des dialogues que vous avez jamais entendu. Une sorte de grande récréation dans la carrière de l’écossais.

“I’m a page three girl. I’m a Warhol superstar. I’m a dyke. I’m a riot grrrrl. I’m the Queen of Sex. I’m a housewife with a jar of rat poison.” – The Girl

En 95, Morrison est à un tournant de sa carrière après avoir vécu une expérience qui a changé sa vie et sa perception du monde à Kathmandu. Juste avant qu’il ne balance son chef d’oeuvre The Invisibles, c’est donc un Morrison en pleine transformation aussi bien mentale que physique (c’est à ce moment qu’il dit adieu à ses cheveux). Une sorte de  processus de réincarnation qui va lui permettre de repousser les limites de ce que l’on peut faire dans un comics dans ses oeuvres futures. Si je vous parle de tout ça, ce n’est pas parce que Kill Your boyfriend est la première oeuvre de ce nouveau Morrison, ni d’ailleurs le dernière de l’ancien mais bien parce qu’elle incarne pleinement la phase de transition entre les deux périodes. On peut voir alors dans ce récit d’une adolescente abandonnant les conventions et cherchant à se réinventer, une projection des émotions puissantes et incontrôlables qui envahissaient l’auteur à ce moment de sa vie.

Même si de son propre aveux, il n’y a pas vraiment de discours secrets ou de grand message universel dans Kill Your Boyfriend mais simplement le récit fun et décomplexé d’une libération adolescente qui tient plus du fantasme que (heureusement) d’un appel à l’usage de la violence cathartique, il y a bien la psyché et la personnalité du chauve écossais imprimées sur chaque page du comics. Morrison a d’ailleurs expliqué en interview que même les personnages secondaires sont des projections parodiques de lui-même à différents moments de sa vie. Ainsi avec le « boyfriend » original, l’auteur se moque de son adolescence avec un personnage dans la pose intello et l’attitude nerd le jour et adorateur compulsif de porno la nuit. De même, les « terroristes artistiques » que les héros croisent dans le bus hippie représentent la période « bohème » de l’auteur en étant des archétypes d’étudiants d’école d’arts mais parodiés à l’extrême. On peut voir alors dans cette bande dessinée une sorte de projection mentale « des » Grant Morrison du passé. En tournant alors ces personnages en ridicule, l’auteur se permet de mettre une fois pour toute ces périodes derrière lui. De ce point de vu, on peut noté qu’il s’agit du comics « tuant » définitivement le Grant Morrison version poète maudit apparu dans les années 80 pour laisser place à la version rock star et iconoclaste du scénariste.

“The only way to stop being bored is to do something interesting. Or criminal. These days it comes to the same thing”. – The Boy

Sorti au milieu des années 90, après des années 80 très calibrées en terme de création mainstream, Kill Your Boyfriend fait partie de ces récits de l’époque cherchant à renouer avec un esprit plus frondeur et edgy. Durant la même période on note, par exemple, la sortie de films comme True Romance (1993), Natural Born Killer (1994) ou encore Wild At Heart (1990). Le comics de Morrison fait donc partie de cette catégorie de fictions, mettant en scène des couples en plein road trip meurtriers, qui ont certainement su saisir le parfum de rébellion bien dans l’air du temps à l’époque. Toujours au rang des influences majeures, Morrison cite un autre film, plus ancien celui-ci, dans la postface de l’édition collectée : Badlands de Terrence Malick. On pourrait continuer la liste avec, évidemment, un film comme Bonnie & Clyde. Il s’agit de ce point de vue de l’une des oeuvres les plus pop et directement référentielle de l’auteur. Une création qui à accéder, en particuliers aux Etats Unis, au statut de culte. Matt Fraction (Sex Criminals, ODY-C…) ou encore Kieron Gillen (Phonogram, The Wicked + The Divine…) pour ne citer qu’eux, vénèrent toujours ce one-shot aujourd’hui. Comme quoi même dans les Morrison mineurs, il y a de quoi y trouver son compte.

“The Followers of Dionysus were called The Maenads. Wild women of the hills who murdered their husbands in an ecstatic frenzy.”  – Mr. Rossiter

Je le disais, Kill Your Boyfriend est bien une oeuvre simple et directe. Il n’empêche que Morrison y glisse quelques éléments liant ses personnages à des archétypes de la mythologie, notamment à Dionysos et aux Ménades pour les deux personnages principaux. L’oeuvre fonctionne alors, sur certains aspects, comme une mise à jour du mythe, transposé dans l’Angleterre des années 90. Ainsi, ici en plus de participer au meurtre de son copain, l’adolescente s’attaque à la société et à ses normes dans une frénésie totale pour s’engager avec The Boy. Comme pouvaient donc le faire les Ménades et Dionysos en prenant part à des rites orgiaques. Dans le même ordre idée, le final de l’oeuvre reste fidèle au mythe, à ceci près que la montagne, au sommet de laquelle Dionysos et ses suivantes accomplissaient leurs rituels, est remplacée par la tour de Blackpool. Quant à la conclusion, je vous laisse juger s’il s’agit d’une vraie adaptation d’une version du mythe (la Ménade causant la perte de Dionysos) ou bien d’une subversion dudit mythe (la jeune femme permettant à l’esprit de son amant de vivre à travers elle). En tout cas à travers toutes les références, parfois même directes, à cette fameuse part de la mythologie, il ne fait aucun doute qu’il s’agisse d’une des sources d’inspiration majeure pour Kill Your Boyfriend. Ce qui vient d’ailleurs rappeler l’amour et la passion de l’auteur pour les grandes figures mythologiques mais remises au goût du jour. En ancrant ainsi son récit dans ces racines, il apporte une seconde couche de lecture qui permet bien d’affirmer que la volonté de Morrison n’a jamais été de retranscrire une quelconque réalité avec Kill Your Boyfriend mais bien de faire de cette histoire une sorte de fable punk peuplée d’archétypes pop.

Au-delà des références à la pop culture et la mythologie, le récit se révèle fascinant tant il apparait aussi comme fondateur dans le reste de la carrière de Morrison et plus particulièrement pour le reste des années 90. On retrouve, en effet, une imagerie et des thèmes qui seront traités bien plus en détails dans ses travaux futurs. C’est particulièrement vrai quand on compare ça à The Invisibles. On retrouve déjà l’imagerie de la grenade (arme symbolisant l’object de la destruction de l’establishment), la mise en avant de mouvements de contre culture, ou encore les protagonistes issus de la classe moyenne usant de la violence comme acte de révolte… La grande différence c’est qu’ici, ces éléments ne sont jamais traités avec le sérieux de l’oeuvre majeure de l’auteur. Tout apparait sous un aspect parodique et over the top. Encore une fois, la grenade « pop » des Invisibles qui peut symboliser également l’envie de l’auteur de faire « exploser » l’esprit du lecteur, mais aussi le médium en lui-même, n’est ici qu’un objet appuyant le ridicule des personnages souhaitant l’utiliser. La violence vue par le personnage principal comme un acte libérateur peut aussi s’approcher des sentiments ressentis par King Mob quand il abuse de cette même violence dans les premiers numéros de la série phare de Morrison. A la différence du héros de The Invisibles, qui sera plus tard un avatar, un prolongement de lui-même, The Girl ne devra jamais faire face aux conséquences de ses actes. Ainsi c’est uniquement en surface que certains des thèmes chers à la suite de la carrière de l’écossais sont abordés, mais c’est tout de même ici qu’ils trouvent racine.

“People said we were evil but they missed the point. It was just high spirits.” -The Girl

Forcément de par la nature de son histoire qui ne condamne jamais vraiment les actions du personnage principal, Kill Your Boyfriend n’a pas échappé à une certaine controverse. Une controverse qui n’a pas vraiment lieu d’être tant le récit de Morrison tient beaucoup plus du fantasme et de la farce que de l’envie d’exprimer une quelconque idéologie. J’en veux pour preuve la conclusion qui s’approche plus de la punchline finale que du brûlot anti-establishment. Une conclusion qui vient appuyer l’aspect ridicule des personnages, d’un côté comme de l’autre, que ce soit ceux représentant l’ordre ou le chaos. De plus, l’enchainement des péripéties se déroule quasiment avec la logique ou plutôt l’absence de logique d’un rêve. Il n’est donc pas question de glorifier la violence gratuite mais bien de mettre en page la psyché tordue d’un personnage en quête de libération en le projetant dans une aventure qui a surtout un rôle métaphorique. Une aventure avec une fonction cathartique qui fonctionne, au final, très bien pour Morrison, lui-même, en pleine transition dans sa vie et sa carrière.

Enfin et s’il vous faut une dernière raison pour tenter l’expérience Kill Your Boyfriend, il est difficile d’ignorer le travail merveilleux que réalise Philip Bond (un des collaborateurs favori de Morrison) sur la partie artistique. Une partie artistique, offrant certainement le meilleur de ce que peut faire Bond, qui finit d’imposer ce comic-book comme une oeuvre « pop » fondamentale. Le trait assuré de l’artiste a juste ce qu’il faut de caricatural dans la représentation des personnages pour faire passer la pilule de n’importe quelle situation. Le tout en offrant quelques moments cultes faisant ressortir le second degré présent dans l’écriture de l’auteur. Bref, il s’agit certainement de l’artiste parfait pour illustrer un tel délire.


Loin d’être l’oeuvre la plus aboutie de son auteur, Kill Your Boyfriend demeure un comics hautement sympathique et intéressant à plus d’un titre. L’une des histoires les plus immédiatement accessible de Morrison. Une sorte de patchwork de référence pop et d’idées qui apparaitront bien plus développées dans ses futures créations. L’oeuvre d’un auteur encore jeune, utilisant ses quelques pages comme un exutoire avant d’entrer pour de bon dans ce qui est, encore aujourd’hui, comme le plus gros morceaux d’une imposante carrière. En définitive, et comme l’avouera Morrison lui-même, Kill Your Boyfriend est l’équivalent comics d’un album de pop adolescente. Pas n’importe quelle pop adolescente cependant mais plutôt celle qui fait encore son petit effet vingt ans plus tard.

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DarkChap
DarkChap
7 années il y a

Assez d’accord. C’est un bon comic book qui exploite bien son concept mais en rien un indispensable.

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