Off My Mind #36 – L’amitié imaginée

Tout le monde connait ce cliché du comics violent, nous en avons même démontré une certaine utilité, selon sa pertinence, dans le Off my mind précédent. En dehors de cette idée préconçue du comics violent, on a bien sûr l’interprétation, le message partagé aussi simpliste qu’il soit. Qu’il s’agisse du bien contre le mal, comme une subtile référence littéraire comme cinématographique donnant à l’œuvre un tout autre sens. De manière bien moins subtile, puisqu’il s’agit de narration même, nous avons les relations entre les personnages. Depuis le Silver Age et la première équipe de super-héros créée, les personnages, entre-eux, sont quelque peu forcés de discuter et pour certains, d’entretenir une relation. Parmi ces relations, nous avons les relations amoureuses, les rivalités, et les plus communes, les relations amicales. C’est bien de cette dernière dont nous allons parler aujourd’hui, dans cet Off My Mind. Et parce que lister des couples d’amis n’est pas l’objectif de cet article, on s’intéressera au sujet avec une approche philosophique.

Pourquoi la philosophie ? Parce que c’est beau. Une science qui n’en est pas une, supposant des réponses à des questions floues et vastes comme celles sous-entendues par l’amitié. D’ailleurs, qu’est-ce que l’amitié ? Nous avons tous nos amis, nos proches. Mais savons-nous vraiment ce qui fait d’un être proche un collègue, un compagnon, ou d’un véritable ami ? On parle même de « pote ». Des êtres amicaux, avec lesquels nous n’avons pas pour autant une affinité aussi grande qu’avec un ami. Bref, tout ça est très abstrait, nous n’avons pas non plus chacun la même conception de ces mots liés à une forme d’affection variant selon chaque personne.

De l’amitié à l’amour il n’y a qu’un pas

Off My Mind Amitié Imaginée img 01On va commencer de manière simple, et de la plus belle des manières, on va parler d’amour. En effet, l’amitié est une forme d’amour. Ou plutôt l’amitié fait partie de l’amour. En philosophie, on démarque l’amitié de l’amour par le contact physique, ou uniquement à l’acte sexuel. L’amitié reprenant donc le mythe de l’androgyne. Pour rappel, dans un autre monde deux êtres ne font qu’un, et dans ce monde dit réel, nous cherchons après notre moitié. La complexité est que cette moitié peut-être, dans ce thème, du même sexe, comme du sexe opposé. Mais la relation peut également être amicale comme amoureuse. On va se pencher sur ce mythe de l’androgyne et mettre en avant l’ambiguïté qui réside entre l’amour et l’amitié. Au final c’est une question qui nous tourmente depuis toujours. Comment savoir si telle personne nous aime ou si elle ne fait que nous apprécier pour le bien ressenti lors d’une discussion. De manière générale, le sujet est très simplement expédié dans les comics. Ou l’on est amis, ou l’on est ennemis (sauf exceptions comme le personnage de Catwoman et sa place dans l’univers de Batman). Ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, qui n’a pas entendu parler du Action Comics #600 ?

C’est ici que se rencontrent Superman et Wonder Woman après les événements du crossover Legends, et échangent leur premier baiser. Un baiser ! Les personnages sont donc ensemble ! Geoff Johns n’auraient rien créé ? Non il n’a rien créé, mais les personnages ne forment pas à un couple amoureux pour autant. John Byrne (scénariste et dessinateur, épaulé par George Perez sur cette histoire) en plus de délivrer une très bonne histoire, consacre l’essentiel de cette histoire à une réflexion sur la relation entre ces deux personnages. Pas d’introduction, le lecteur commence avec une première page choquante. Superman embrassant Wonder Woman. L’homme d’acier a des sentiments pour l’amazone, les dévoile, et Diana ne se cache pas de pouvoir en éprouver pour autant. Les super-héros sont donc quelque peu humains, et comme chaque mortel, ils doutent. Le numéro se porte sur une réflexion personnelle de chaque personnage quant au type d’affection il porte à l’autre. Mais surtout l’importance de s’observer, de s’étudier (je vous renvoie sur les Essais de Montaigne pour ceux qui ne les auraient pas encore lus). Une incertitude qui durera un peu plus de vingt pages où les réflexions élaborées se concluront sur une relation amicale très forte.

Off My Mind Amitié Imaginée Action Comics 600Cette histoire, décriée par certains, adorée par d’autres, illustre exactement cette ambiguïté qui réside dans la différence entre la relation amoureuse et la relation amicale. Mais alors pourquoi un baiser ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’un plaisir, une conséquence du bien ressenti par la rencontre avec l’autre. Nous sommes dans une situation où Superman vient de rencontrer Wonder Woman, ils se retrouvent, et Superman ressent une profonde affection. Comment juger s’il ne s’agit que d’une amie ou d’un amour parfait ? Il apprendra par la suite que malgré de nombreuses similitudes, elle n’est pas cette moitié mais juste une collègue dont il est très proche et en laquelle il peut avoir confiance. Disons que cette histoire d’une vingtaine de pages résume cette relation Superman/Wonder Woman version New 52 qui aura durée quatre ans sans avoir apporté ne serait ce que la moitié de ces quelques pages de John Byrne. Cette même notion d’amitié aux limites de l’amour se ressent aussi dans le titre Teen Titans de Geoff Johns, faisant suite à Infinite Crisis et donc, la mort de Connor. Robin et Wonder Girl, ensemble dans le deuil se rapprochent. Et malgré cette ambiguïté, encore plus forte que celle de Action Comics #600, ils resteront amis. Mais perdront cette relation de confidents sous-entendue à ce même moment. C’est là une des conséquences de l’amour sur l’amitié, une séparation suivie de regrets. D’où le regard méfiant que nous portons sur l’amour.

Super Friends

Off My Mind Amitié Imaginée Superman BatmanNous ne sommes pas les seuls. Bon nombre de philosophes voient l’amour comme un danger. Selon certains, l’amitié surpasse l’amour. L’amitié serait même la plus grande richesse du monde réel. On notera de nombreuses nuances dans ce que l’on appelle amitié. L’amitié est censée trouver son origine dans une forme d’attirance se divisant en trois composants qui sont la croyance, l’affection et l’envie de s’exprimer auprès d’elle d’une manière particulière, l’envie de faire bonne impression. Autrement dit, Cognitive, Affective et Conative. Ça, ce n’est pas de moi. C’est de Ellen Berscheid, une psychologue spécialisée dans la psychosociale. Derrière toute cette beauté des sentiments humains, réside cet égocentrisme visant à trouver un gain. Que gagne-t-on d’une relation amicale ? Platon ne fait pas dans la dentelle. Si on a des amis, c’est pour qu’ils servent à quelque chose. Il y aurait donc un rapport d’utilité. On aurait des amis dans un but précis, afin d’être aidé et d’aider en retour. Avant d’être amis on devrait donc analyser et évaluer les contraintes et les bénéfices que notre propre personne pourrait en tirer. C’est ce que l’on appelle l’équité. Avoir autant de gains que de contraintes dans une relation. Berscheid voit l’attirance d’un être pour un autre qui lui est semblable. La ressemblance est un facteur important. Et bien pas vraiment.

Pour exemple, on peut prendre n’importe quelle équipe de super-héros. Avec la Justice League on se trouve dans une situation de collègues et non pas d’amis. Ça se ressent dans les premières saisons de la série animée de Bruce Timm. De la pause café à celui qui devra veiller cette nuit dans la tour. On se trouve dans un système de travail où chacun se force à s’apprécier et  à se découvrir dans le but de s’entraider à défendre la Terre. L’amitié vient par la suite. Par la connaissance de l’autre, une fois dépassé une forme d’appréhension. Pour cela, nous avons déjà la duo éponyme Batman/Superman. En témoigne le Superman Univers Hors-Série #1 , ces deux héros s’opposent et sont de ces amitiés les plus fortes dans le monde des comics. Ce qui leur a d’ailleurs valu plusieurs séries à leurs noms. Les oppositions sont nombreuses. De leurs méthodes, à leur représentation, le jour et la nuit, Frank Miller les oppose dans un combat à mort ! Vous allez me dire que c’est presque tricher, mais dans l’idée d’utilité Superman s’est de nombreuses fois allié à Nightwing. Et si on conserve une notion d’utilité, celle-ci ne concerne pas uniquement les pouvoirs de Superman. Dans l’arc Renegade, Nightwing s’oppose à Superman dans un affrontement. Ce dernier en vient à le raisonner, non pas par la force, mais par le dialogue. Dire qu’ils sont amis est un peu exagéré, mais on peut entendre par là qu’une amitié réside derrière puisque « pour connaître quelqu’un il faut être son ami ».

BROFISTCependant, une amitié entre personnes semblables n’est pas impossible pour autant. Le Green Lantern Corps. Une émotion, une volonté qui unit toute une armée. Une fraternité entre chaque membre du corps, et cette notion de Corps, c’est une force, et c’est d’ailleurs ce qui fait une grande partie de la réussite de Johns sur son run, et en particulier lors du Sinestro Corps War. Le Corps est unit face à un autre, le corps n’est qu’un et ce n’est pas un simple groupe. C’est une unité totale qui réside entre ces personnes. Dont l’âme est Kilowog. Allez donc lire Green Lantern Corps Recharge, où Kilowog va rechercher les membres disparus quitte à disparaître avec eux. Un bon titre Green Lantern Corps transpire ces liens entre les membres. On part vers une contradiction totale avec les théories philosophiques, mais le Green Lantern Corps est un exemple où le collègue peut être un frère, un ami proche. Pour se rapprocher le plus possible d’une théorie existante, il faudrait voir du côté de Kierkegaard et y voir un sentiment religieux où le membre verrait tout homme comme son ami. Parce qu’il ne peut tout simplement pas aimer quelqu’un et délaisser l’autre. L’être religieux doit être l’ami de l’être humain et de tout être humain.

A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie

Off My Mind Amitié Imaginée Booster Gold Blue Beetle Justice League InternationalOn retourne vers ce mythe de l’androgyne avec les meilleurs amis du multivers : Blue Beetle et Booster Gold. Le mythe de l’androgyne, je l’ai expliqué plus haut pour le couple amoureux, cependant, ce mythe est également utilisé pour l’amitié. Par le mythe de l’androgyne, soit notre moitié est notre ami, soit notre amour. Selon le mythe l’âme serait liée à cette personne, ce qui ferait que nous en sommes indissociable. Ce n’est que la théorie des disciples de Pythagore. Saint Exupéry parle de frère, et trouve le mot plus fort que l’amitié. Et à vrai dire, Blue Beetle et Booster Gold sont bien plus que des amis. Ils sont inséparables (ou du moins ils l’étaient avant les New 52).

Ces deux personnages inséparables depuis leur rencontre dans Justice League International sont la représentation d’une joie et d’une forme de folie dans un univers que nous voyons aujourd’hui comme sombre et sans aucun second degrés. Si ce n’est à un extrême le supprimant de toute forme de continuité au sein de l’univers fictif (cf. Harley Quinn ). Ils apportent cet optimiste et représentent ce plaisir d’une amitié parfaite. Une touche d’optimisme dans ce milieu où le drame et l’horreur sont de plus en plus mis en avant. L’amitié, cette fois-ci de manière générale, créée un contraste entre l’univers et ses malheurs quotidiens dans un milieu où les personnages ont des caractères très différents. Ce qui contredit bel et bien la théorie de Berscheid.

Lorsque nous parlons de Blue Beetle et Booster Gold reviennent ces termes d’amitié fusionnelle, au point d’une suggestion de relation amoureuse. C’est à cet instant que surgit notre ami Sigmund Freud. Il a le profil pour relier psychanalyse et philosophie. De plus, sa théorie est très simple. Si nous avons un ami, nous avons une relation fusionnelle, et donc nous avons des pulsions sexuelles, conscientes ou non, envers cet ami. Chacun est libre de son interprétation, mais notre théorie suscite bien plus d’intérêt chez les fanatiques plutôt que chez les scénaristes. Les spéculations circulant sur leur possible relation, des fan-art (dont je vous épargnerai la vue), et je pourrais parier sur quelques fan-fiction liées à ce sujet. Le soucis principal de cette théorie est qu’elle fait passer une amitié pour une relation amoureuse incomplète ou inavouée, ce qui peut parfaitement ne pas être le cas. Par ailleurs, on en perd la définition même de l’amitié.

Off My Mind Amitié Imaginée Blue Beetle Booster Gold We're not gay !Nous parlions de contraste entre l’amitié et l’univers dans lequel vivent ces héros de cape et de collant (ou plutôt de ceinture et d’armure aujourd’hui), mais quel est l’intérêt, autre que de diversifier les thématiques du genre, d’insérer une relation amicale dans un comic-book ? Quel plaisir en tirer ? A travers cette relation entre Blue Beetle et Booster Gold, comme la relation entre Superman et Batman, Flash et Green Lantern, Green Arrow et Hal Jordan, Tim Drake et Connor Kent, le lecteur est pour le moins forcé à un moment ou un autre de s’identifier à l’un d’eux. Et de par ce fait, imaginer son meilleur ami être l’équivalent de celui du héros auquel il s’est identifié. A l’inverse, nous rêvons de vivre une relation de ce type, de trouver cet équivalent à notre personne.

En somme, les comics sont une forme de retranscription du réel dans ce travail de copie des sentiments et relations humaines. Donnant aux personnages fictifs une humanité probante, tant certains numéros et le travail réalisé dans les dialogues tend à rendre ces personnages réels par l’humanité et la force d’une amitié qui s’en dégagent. Que ces personnages viennent de Mars ou se sentent étranger au monde qui les entoure, ils conservent chacun une part d’humanité (je pense notamment à Raven et à ce premier numéro sorti récemment) qui se développera jusqu’à la création de liens menant à l’amitié. Cette approche philosophique en est presque utopique, dans l’idée où il est impossible de n’avoir qu’un seul et unique ami. La rareté évoquée est du à une société où nous nous déplaçons de plus en plus et où le temps devient une richesse tout aussi rare. L’amitié étant une chose qui ne s’achète nullement si ce n’est avec le temps que nous consacrons à notre entourage. Le temps renforce et répare les liens. En bientôt 80 ans, nos super-héros ont tissés bon nombre de liens, entre les cases, comme au travers des pages.

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Rédacteur depuis 2015, j'écris dans le but de partager ma passion pour les comics et entretenir ce sentiment de découverte. Bercé par Batman, mon cœur se dirige toujours vers l'éditeur aux deux lettres capitales.
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TDK
TDK
7 années il y a

Merci watchful pour ce Trés jolie et intéressant Off My Mind !

Fonzie
Fonzie
7 années il y a

Vraiment intéressant, merci

Mocassin
Éditeur
7 années il y a

C’est intéressant comme sujet tiens, et joliment traité ! Cette approche philosophique me remet en mémoire mes cours de terminale, si c’est pas cool ça.

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