Review TV – Gotham S02E22 « Transference » FINAL SAISON 2

« Why are you so mean ? » – Selina

• Gotham Saison 2 – Épisode 22 – Transference

• Réalisation : Eagle Egilsson – Scénario : Bruno Heller – 23 mai 2016 – Fox

Est-ce que vous avez déjà vu Batman & Robin ? J’imagine que par curiosité malsaine, la plupart d’entre vous a dû tomber sur ce film d’une manière ou d’une autre, mais pour les deux trois petits jeunes qui n’auraient pas eu la force de se l’infliger, voilà un résumé rapide des enjeux de ce dernier volet de la tétralogie Burton/Schumacher. Le film s’ouvre sur des plans tétons/cuir/fesses/tétons, une engueulade entre Bruce et Dick Grayson parce que Dick veut avoir sa propre voiture pour draguer les filles. Le duo dynamique part affronter Mr. Freeze, un vilain étrangement incarné par Arnold Schwarzenegger (qu’on imagine étrangement mal dans la peau d’un scientifique avant-gardiste sur l’étude des phénomènes glaciaires), ils se battent, Robin est en danger, plan suivant.

Est introduite Poison Ivy, et personne ne fera de blagues sur le début de cette phrase, qui va s’associer à Freeze après avoir suscité le désir de Batman & Robin grâce au pouvoir du fétichisme, et former à deux une alliance dont le but sera de geler la Terre pour ensuite rebâtir par-dessus un gigantesque paradis écolo’. Freeze congèle ainsi la ville, Batman arrive et lui dit « mais Poison Ivy elle est méchante, d’ailleurs regarde elle a voulu tuer ta femme », etlui montre un extrait enregistré par la caméra du réalisateur, ce qui est follement méta’. Le héros va ensuite dégeler toute la ville avec le pouvoir du Soleil, ce qui ne causera étonnamment ni incendies ni brûlures au troisième degré, Poison Ivy est bouffée par une plante carnivore qui était sa copine deux secondes avant, mais survit en fait puisqu’on la retrouve à Arkham où les mecs du staff ont aussi mis Freeze, à qui ils ont laissé tout son attirail de combat parce que, hé, « la vengeance, ça se mange froid », ma gueule. Maintenant, si vous vous demandez pourquoi je vous raconte tout ça, je vais vous proposer de fermer les yeux et d’imaginer un monde parallèle où les cinglés qui ont fait ce film courent toujours et auraient par accident accouché d’une série TV dans le même registre d’écriture. Bienvenue dans le monde magique de Gotham.

Le scénario de cet épisode vient achever la seconde saison (et cette review comporte plein de spoilers – mais c’est pas grave, pour une fois la note seule suffit), un moment de la série qui a cru bon d’introduire plein de vilains pour poser les racines du futur Bat-verse en se foutant pas mal de la symbolique ou de savoir si une série avec des super-vilains mais sans super-héros, ce n’était pas un peu glissant. Bel effort d’ailleurs dans les dernières minutes, mais ne brûlons pas les étapes. On retrouve en début d’épisode un Clayface qui a pris l’apparence de Gordon, désamorcé la venue de la police à Arkham, et laissé nos héros dans la panade.

C’est ainsi que, tandis que Lucius et Bruce débloquent un trophée du Riddler, Jim Gordon passe en consultation auprès de Strange qui lui injecte un sérum de penthotal étrangement actif. Parce que les scénarios subtils, c’est rien que de la frime, le personnage avoue volontiers un complexe divin, et rajoute dans une scène qui n’a pas été mise dans le montage final « les raptors et l’Indominus Rex c’était moi aussi, mec. Eh ouais ! ». Pendant ce temps, à Gotham, Clayface se fait passer pour Jim avec adresse et duplicité (et c’est normal, moi-même je n’aurais rien deviné), devant un Bullock pas du tout inquiet de voir son collègue et meilleur pote manifestement sous l’influence de substances illicites – mais hé, après tout, qui est il pour être si suspicieux ? Le commissaire d’une ville gangrenée par la violence, avec 20 ans de métier ? Toujours les mêmes qui critiquent. Toujours les mêmes.

En fil rouge de l’épisode se déroule également l’évasion de Fish Mooney, revenue d’entre les morts avec des super-pouvoirs (tout va bien : c’est scientifique). L’écriture dispute à l’acting un de ses rares moments de série TV où le suicide devient tout à coup une idée raisonnable dans l’inconscient (je vais vous situer ce genre de moments, prenez un épisode d’Arrow, Felicity entre dans la pièce, et… Ca y est, vous le tenez). Les dialogues et confrontations s’enchaînent dans ce joyeux mélange de drogue, autisme et infantilisation, on imagine Bruno Heller depuis un hôpital spécialisé prendre en photo les murs où il a peint avec ce qu’il avait sous la main la moindre virgule de ce texte (au demeurant, fantastique), à mi-chemin entre la blague et le foutage de gueule à répétition.

Le bouquet final est grand. On balance une bombe nucléaire, l’astuce du scénariste paresseux pour forcer les enjeux de la fin (maintenant, vous saurez comment désamorcer un explosif de ce genre en cas de problème. Grâce au verre d’eau, utile en toutes situations. Ca marche aussi en pissant dessus), on ouvre sur un retour de Fish Mooney dans la série en tant que personnage régulier, les dernières secondes servent d’amorce à la saison suivante avec un festival de vilains – dont Jerome, si vous l’aviez raté – un combat feu contre glace, une redéfinition de la relation Bruce/Selina fidèle à l’ambiguïté splendide qui unit ces deux figures clés de Gotham City, Strange est ressuscité à coup de baffes, les effets spéciaux sur Clayface sont moches, McKenzie joue mal, Butch a une gatling mais a la pétoche de tirer sur Fish, Barbara surjoue, Lucius est blasé de la vie, y a pas de vélociraptors, Jim part s’envoyer sa nana au lieu de rester pour arrêter les freaks en cavale et mon dieu, mon dieu : cette dernière scène, ces dernières secondes de la folie mentale, c’est n’importe quoi.

Pour être tout à fait franc, je ne suis pas capable de me positionner vis a vis de cette série. En négatif, évidemment – parce que… J’ai des yeux et un cerveau ? – mais plus factuellement, il m’est difficile de comprendre, avant même d’accepter ou de supporter, la position de Bruno Heller et de ses équipes sur l’ensemble de leur travail. Si un type s’est effectivement assis il y a quelques semaines derrière un logiciel de traitement de texte et a livré ce script sans drogues, sans second degré (ou plus, là on se rapproche de la température d’un pays chaud), sans ironie ou envie volontaire d’insulter le public, y a certainement quelque part en Amérique un autre type habillé en blanc avec une fourgonnette, une trousse de soins et un immense filet à papillon qui court après ce gars là. Soignez-le, il a besoin de votre aide.

Et pour achever sur une note plus sérieuse : en terme de qualités, d’aucuns me diraient que la série reste active sur pas mal de plans, qu’on ne s’y ennuie jamais et que l’ensemble déborde moins de triangles amoureux que les chaînes concurrentes. Pour sortir de ce microcosme des adaptations, il a été prouvé qu’on pouvait faire une bonne série sur d’autres plans que la simple rythmique événementielle, il y a aujourd’hui des dizaines d’excellentes séries qui vous feront passer de meilleurs moment que Gotham, même sans les personnages que vous connaissez en BD (c’est même pire si vous êtes fans de la BD. Personnellement, si je suis fan de quelque chose, je ne prends pas nécessairement un immense plaisir à voir mes héros préférés se faire partouzer par un taré en costume de latex – à ce moment là, vous avez toujours les parodies porno’). Dans l’ensemble, Gotham est une mauvaise série, elle ne respecte aucune règle de cohérence parce que le scénariste croit apparemment que l’incrédulité du spectateur s’applique différemment à un medium issu de comics. Où ce n’est pas anormal de voir des personnages ou des points de vue qui se retrouvent rarement dans la part plus réelle d’une série TV. Or, c’est idiot.

Il y a des tas d’adaptations, de romans ou de BD, qui font le travail mieux que ça. Surtout sur Batman d’ailleurs, prenez T.A.S., il ne serait pas compliqué ou improbable d’adapter stricto sensu le dessin animé en live en gardant les mêmes choix esthétiques, l’ambiance, etc. A l’inverse, Gotham boîte perpétuellement entre la série grand public et ses intrigues policières et un imaginaire emprunté, qui n’est jamais crédible ou cohérent. Prenez un exemple tout bête : si la Fox n’avait pas eu les droits du comics et avait quand même décidé de produire le show, pensez-vous que David Mazouz aurait eu la même importance dans la seconde saison ? Il n’est là que parce qu’il est Batman en BD, et parce que c’est le cas, on doit systématiquement le ramener au premier plan là où sa présence ou sa performance inviteraient à plus de recul, voire une absence longue durée (do it).

Dans l’ensemble, les acteurs n’y croient pas, ceux qui sortent du lot versent dans l’auto-parodie et la réalisation est lourde là où on sent un potentiel certain. L’humour n’est jamais bon, on rit plus de la série à ses dépends qu’à son envie, aucun personnage n’est attachant à quelques exceptions près. Il faudrait un dossier entier pour lister les incohérences les plus primaires à trouver juste dans cette saison, et si on s’intéresse à la construction normale d’un scénario de genre, qu’il soit policier, thriller, horrifique ou même de l’origin-story en sous-couche d’un super-héros, rien n’est jamais bon. La direction artistique est creuse ou grotesque, les vilains ont des costumes de la Foirfouille, et à chaque fois qu’on sent un épisode bon ou qu’on a envie de reprendre espoir (parce que le fan est bête et facile à acheter, je suis d’ailleurs certain que plein d’entre vous ont quand même hâte de voir la suite à cause de la dernière scène), l’épisode suivant arrive comme le coup de masse d’une série qui, définitivement, s’en bat les steaks au marteau-piqueur de Batman, des comics, et de son public. A croire que le crime paye en définitive.

Je ne vous conseille pas nécessairement de regarder Gotham (et pour ça, vous avez le droit de me détester). Il y a un test simple à faire pour juger de la qualité d’une série TV qui s’impose depuis le début de la déchéance d’Arrow il y a deux ans de cela : imaginez une seconde que la même histoire, les mêmes découpages, le même rythme, les mêmes dialogues et personnages soient un comics publié chaque semaine plutôt qu’une série TV. Est-ce que vous vous verriez apprécier ou pardonner à cette publication là ce que vous aimez ou pardonnez à Gotham ? La réponse vous regarde, en attendant on se donne rendez-vous en fin d’année pour savoir comment avance la thérapie de Bruno Heller, et on retourne mater en boucle Batman & Robin de Joel Schumacher. Parce qu’au fond, avec une pizza, une bière et un pote, ça reste au moins plus marrant que ce qu’on nous impose à la télé.