Review cinéma – Watchmen

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Les points positifs :
  • Le meilleur film de Zack Snyder
  • Une bande-son exemplaire
  • Adaptation case par case
  • Comprend le besoin d’actualiser
  • Jeffrey Dean Morgan & Jackie Earle Haley
Les points négatifs :
  • Ozymandias, méchant de BD
  • Sans les manipulations génétiques
  • Evidemment moins dense que le comics

« J’ai entendu une blague un jour. Un homme va chez le toubib, dit qu’il est déprimé, la vie lui parait dure et cruelle. Il dit qu’il se sent tout seul dans un monde menaçant. Le toubib dit : « le remède est simple. Le grand clown Paillasse est en ville. Allez le voir, ça vous remontera. » L’homme éclate en sanglots : « mais docteur, qu’il dit, je suis Paillasse. »

Bonne blague. Tout le monde rigole. Roulements de tambour. Rideau. » – Rorschach


  • Réalisation :  Zack Snyder Production : Lawrence Gordon, Lloyd Levin, Deborah Snyder
  • Scénario : David Hayter, Alex Tse
  • Acteurs : Malin Akerman, Billy Crudup, Matthew Goode, Carla Gugino, Jackie Earle Haley, Jeffrey Dean Morgan, Patrick Wilson

Hauts les coeur, brave lectorat. Après avoir passé en revue les aberrations nées des studios Warner Bros. (entre autres), il était temps d’évoquer les films qui ont rendu justice aux comics DC, évidemment moins nombreux. Aujourd’hui, le Watchmen de Zack Snyder, premier contact du cinéaste avec le public des fans et, pour beaucoup, première déception. D’autres ont néanmoins abordé le film comme une déclaration d’amour sincère et appliquée au bouquin de Moore & Gibbons, et profité au passage d’un des rares films de super-héros à oser un pari différent, unique, à l’image de sa version de papier.

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Le film Watchmen en reprend une partie de la structure narrative, en s’arrangeant d’autres données plus textuelles par différents effets de styles ou raccourcis suggérés. Un fantastique générique d’ouverture sur The Times Are A Changin’ de Bob Dylan, plusieurs différences de scènes et un propos actualisé : le comics, quoi qu’il couvrait déjà une somme importante de sujets, restait un témoin vivant de son époque. La Guerre Froide, une uchronie sous Richard Nixon, la transition de génération des comics de l’âge d’Or à ceux de l’âge d’Argent, et en même temps que le scénariste dressait le portrait d’un corps super-héroïque fatigué, le bouquin préfigurait déjà de la philosophie qui prendra le pas la décennie suivante. Pour beaucoup, Watchmen a tué l’idée du super-héros, mais sur plusieurs points, difficile d’imaginer l’adapter tel quel.

Les concessions ne sont pas forcément là où on les attend. Toute l’expression de la violence, souvent dure ou absurde dans la BD, se retrouve sous la caméra (numérique) de Snyder, qui ne polit absolument pas son propos aux codes d’Hollywood, et offre longtemps avant la tendance en marche un premier rated-R chez la Warner et ses super-héros. Peu de concessions non plus au graphisme de Dave Gibbons : symbolique comme mascotte du concept même de surhomme sous Moore, le Dr. Manhattan a été jugé à l’époque de la sortie du film comme une performance remarquable d’imagerie numérique, ne se défaisant jamais de son bleu électrique et adoptant l’ensemble des pouvoirs du personnage à l’écran. Le masque de Rorschach s’anime pour pivoter les zones d’encre au rythme de ses émotions, le Hibou, quoi qu’il ait perdu en bedaine, se veut autant l’héritier de Blue Beetle que de Batman, et le Comédien, qui perd sa cagoule sadomaso’, impressionne tant par la fidélité au design que le charisme de son interprète, Jeffrey Dean Morgan.

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Avant de revenir aux acteurs plus largement, il était question de concessions obligatoires. Pour ceux qui n’ont pas lu Watchmen (les gars ! Sérieux ?), plusieurs points dévient de l’intrigue que vous connaissez au cinéma, en particulier la fin, qui ne propose pas du tout la même version de l’histoire. Sous Alan Moore, le plan d’Ozymandias, antagoniste secret des héros et utopiste conquérant, consiste à investir dans la recherche génétique – créer, artificielle, une créature vivante monstrueuse qui pourrait aux yeux d’un être humain normal avoir l’allure d’une bestiole extra-terrestre. C’est un tel monstre – et pas une simple explosion – qu’Adrian Veidt téléporte au coeur de New-York, et c’est en croyant à une invasion alien justement que les gouvernements de Russie et des Etats-Unis s’allient finalement. La créature en question est un genre d’immense pieuvre télépathe, un hommage de Moore aux adversaires absurdes du Silver Age comme Starro, et la signature de son amour pour l’auteur H.P. Lovecraft.

Le film s’oriente vers un scénario différent. Dans la même idée d’utopie, Adrian Veidt travaille intensivement avec le Dr. Manhattan (le film en fait de plus proches amis) à la transition énergétique qui sera le grand enjeu géopolitique de l’après Guerre Froide. Remplacer les énergies fossiles et nucléaires, le véritable terrain d’affrontement idéologique, au-delà des différences d’opinions entres capitalistes et communistes. Par la suite, c’est de cette énergie qu’Ozymandias se servira à New-York, ce qu’on peut interpréter comme une alerte sur les dangers des énergies de demain justement (comme le nucléaire), ou bien sur la peur terroriste d’attentats d’où naît le nouvel ordre mondial, en avance. Toujours est il que le film expédie la pieuvre télépathe, et par-là même, oublie d’expliquer deux ou trois éléments. Comme par exemple Bubastis, le tigre d’Adrian, elle aussi née d’expériences, ou la réaction (surprenante) du Comédien lorsqu’il découvre le fond de l’affaire. Son effroi semblerait plus crédible face à un C’Thullu synthétique, tandis qu’un complot avec explosion apparaît comme plus acceptable au regard de sa vision de la vie et des Hommes. L’autre effet est, parce qu’Ozymandias trahit un Manhattan duquel il est plus proche, de faire apparaître Adrian comme plus méchant qu’il n’est en réalité.

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Cela dit, un maigre conflit entre le bouquin et le film, qui n’enlève rien à une grande fidélité. Ce besoin d’écarter les quelques données réellement inadaptables du comics n’enlève pas une intention manifeste et appliquée de bien faire. Le monde de Watchmen est celui d’Alan Moore, toujours violent, politisé, sexuel, et musical, de l’ouverture du film sur Unforgettable de Nat King Cole à Desolation Row de My Chemical Romance (décidément, il est partout, ce Gerard Way), les compositions originales ajoutées aux musiques pré-existantes réalisent un job formidable pour soutenir les ambiances et différentes époques. Parfois, elles servent à rendre hommage, comme lors de la célèbre Chevauchée des Walkyries du Ring Wagnérien, utilisé en référence au Apocalypse Now de Coppola, et parfois, elles soutiennent des moments de narration assez complexes à glisser en plein milieu de son film, comme le superbe chapitre du Dr. Manhattan raconté sur les morceaux Pruit Igoes et Prophecies de Philipp Glass. L’ensemble des morceaux est généralement bon, et leur emploi dans le film, toujours excellent.

Esthétiquement, il faut y revenir. J’ai dit plus haut que le film avait été pour beaucoup la première rupture avec un metteur en scène capricieux, dans ses angles de vue et sa colorimétrie. Or, Watchmen de Zack Snyder est un véritable ensemble, qui comprend tous les codes du réalisateur. Si les scènes d’actions sont évidemment moins nombreuses que dans un récit traditionnel de super-héros, oui, il y a des ralentis. Si les couleurs proposent plusieurs tonalités, depuis les flashbacks des années ’40 à la photo sale et jaunie de la prison, à tous les moments extérieurs au présent chacun placés dans une certaine atmosphère graphique, oui, souvent, c’est bleu, bleu foncé, noir, jaune et bleu. Et oui, bien sur, parce que c’est un Zack Snyder, la director’s cut est meilleure et plus complète que la version proposée en cinémas. Déjà, à l’époque, les graines de la discorde étaient plantées.

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Sauf que Watchmen est un bon film. L’une des meilleures adaptations et l’une de celles qui démontre l’intérêt de faire du case par case (en sachant où s’arrêter), de l’esthétique qui naît des comic books et de leurs costumes si adaptés avec talent (Michael Wilkinson réalise à cet effet un travail superbe) et des récits fantastiques qui dorment à l’ombre de films clés-en-main où d’anecdotiques vilains échouent périodiquement à battre un héros blagueur et ses copains (oui, c’est bête, méchant et de mauvaise foi, mais, n’empêche). Au casting, le génial Jackie Earle Haley avec Dean Morgan témoignent de l’intérêt de miser sur de vraies « gueules » de cinéma pour les personnages les plus forts, tandis que Billy Crudup impressionne par la sobriété et la finesse de son jeu de Manhattan, être supérieur apaisé à la voix douce dont chaque réplique incarne l’idée du surhomme Moorien, presque poétique comme a pu l’être Miracleman ou sa Créature des Marais. La version longue met (un peu) plus en avant Hollis Mason, ou les autres sous-intrigues de l’histoire, en rajoutant dans une version finale le récit du Black Freighter, back-up des numéros de Watchmen pensés en mise en abyme de la BD par l’incursion de ce comics dans le comics, lu par certains personnages, en hommage aux pulps et à l’opéra de Brecht.

Dans l’ensemble, le film Watchmen est une réussite scénaristique et visuelle, qui a réussi à adapter une oeuvre réputée intransposable du papier à l’écran, un succès qui n’aura d’égal que son échec au box-office et la seule prestation de Zack Snyder a avoir fédéré une large partie du lectorat DC. Une question qui me vient souvent est de savoir, dans l’escarcelle des adaptations, si les projets sont confiées aux bonnes personnes en général – par exemple, difficile de dire qu’à l’échelle du cinéma, le réalisateur est l’équivalent de ce qu’ont pu être Alan Moore ou Frank Miller à l’échelle des comics. Aussi, on peut se demander si la validité de porter des oeuvres comme Watchmen ou Dark Knight Returns sans le talent ou le style très marqué qui a vu la naissance des ces histoires n’est pas problématique. Ici, comme sur 300, Snyder s’en sort par un procédé simple, et une alternative potentielle aux adaptations traditionnelles : il réalise un film de fan.

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Si son style ne s’efface pas devant son propos, le case par case devient le véhicule de toutes les qualités de la BD qu’un réalisateur plus affirmé (comme Terry Gilliam) aurait modifiées pour coller à son propre univers. Or, parce qu’il se met complètement au service de son histoire, Snyder arrive à garder Watchmen intact, presque complémentaire du comics, porté par une admiration palpable de l’oeuvre et de ses personnages, n’oubliant pas d’amener les qualités que le cinéma peut poser sur la table. Une bande-son, des acteurs mouvants, et la transposition réaliste de dessins comme son homme bleu ou ses taches d’encre sur un masque blanc. Une réussite globale, qui fait s’interroger sur le besoin de films partagés ou de sagas, au devant de simples adaptations fidèles, réussies et mémorables de ce genre.

Mais, comme il a été dit plus haut, Watchmen demeure aujourd’hui l’un des plus vibrants échecs de la Warner sur un film de super-héros. On peut attribuer cet insuccès à une oeuvre arrivée trop tôt dans la vague, un rating qui a osé ne pas faire de concessions (à l’image de l’un de ses héros) ou un propos trop politisé et pas assez pop-corn pour le public moyen. Reste qu’en dépit de l’avis de Moore, qui grogne dans sa tanière de Northampton en imaginant qu’une suite pourrait même être donnée à ces sombres agissements, le film est aujourd’hui jugé par beaucoup comme l’un des meilleurs de son genre, un exercice difficile réussi avec brio et une excellente oeuvre d’ensemble pour quiconque aime le bouquin original, nul doute d’ailleurs qu’il aura autant contribué à faire vivre sa légende que l’absurdité Before Watchmen dans sa lignée mémorable. 

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DDK
DDK
7 années il y a

Un film de cul désolé.

blackhippy
blackhippy
7 années il y a

Un très bon film.

Joke
7 années il y a

Très bonne review pour un film que j’ai trouvé absolument génialz ! Une des mes adaptations favorites , un d’mes films favoris . .. J’bite toujours pas comment Snyder a pu sublimer ainsi Watchmen pour ensuite s’vautrer totalement avec MoS et BvS Oo

Capugino
7 années il y a

J’ai adoré ce film à l’époque :D

Batsupgreenarrow
Batsupgreenarrow
7 années il y a

Le meilleur film de Zack Snyder, je suis entièrement d’accord, un film qui essaie de rester le plus fidèle à la BD qui est géniale, les acteurs sont parfaits, les scènes d’action aussi, la scène finale est l’une de mes fins de film de super-héros préférées, certes il y a un peu de cul mais il y en a aussi dans la BD et rorschach nom de dieu, le personnage le plus travaillé et le plus excellent du film, et ce film est excellent, c’est une des meilleurs adaptations de super-héros qui existent au monde et je suis désolé mais moi j’ai adoré ozymandias et son plan est si ingénieux, et je n’ai pas parlé de tous les autres personnages aussi très bien (notamment le comédien), bref j’ai adoré ce film, et je l’ai tellement adoré que je l,ai vu au moins une dizaine de fois (et la scène de la prison je l’ai regardé au moins une vingtaine de fois). J’attends avec impatience la review de V pour Vendetta qui est lui aussi un grand chef-d’oeuvre et une adaptation très réussie. Ah oui une dernière chose, je trouve que ce film méritait un plus grand succès, même si aux USA, il a bien marché, et moi je dis bravo Zack Snyder pour cet excellent film.

stingrayfell
stingrayfell
7 années il y a

Un chef d’oeuvre dans sa version longue director’s cut !!!!

Rhyfel4815
Rhyfel4815
7 années il y a

Quand je l’ai vu il y a 7 ans je ne connaissais pas les comics qu’il adapte (à l’époque je m’intéressais au comics de loin) et je me suis pris une véritable claque en le visionnant ! Le scénario impeccable, les acteurs à la limite de la perfection dans leur rôles respectifs, l’image sublime, l’univers torturé à souhait, les dialogues de ce film bon dieu, les répliques de Rorschach (de son histoire avec la petite fille, sa blague et son « ce soir, un comédien est mort. »…..

Batsupgreenarrow
Batsupgreenarrow
7 années il y a

Bien d’accord et son ultimate cut aussi est excellente avec la BD pirate en version animée.

Jibé
Jibé
7 années il y a

Une excellente adaptation d’un excellent comics. À voir en Ultimate Cut !

Billy Batson
7 années il y a

Excellente review Corentin qui arrive bien à cerner les points les plus importants à mettre en avant. Je rajouterai juste que si Alan Moore rendait hommage aux comics à travers cette œuvre pour les déconstruire comme tu le faisais remarquer (le lien entre la créature de Veidt et Starro notamment), j’ai le sentiment que Snyder a lui voulu rendre hommage aux films adaptés de comics (notamment à travers les costumes d’Ozymandias et de Nit Owl) et c’est sans doute là que se trouve la plus grosse différence entre les deux œuvres.

Jocks
Jocks
7 années il y a

J’ignorai que le film avait bidé à sa sortie mais je peux le comprendre parce qu’avant de l’avoir lu, j’ai eu énormément de mal à voir ce film, ne connaissant que très peu Snyder je trouvais que le film trainait en longueur tout le long et je pense que ça a pu en rebuter certains. Mais maintenant ça reste un bijou d’adaptation et c’est pour ça que j’adore Snyder, on sent que le mec adore les comics, dans le style, la mise en scène etc on voit que le mec il adore ça et quand il fait son film, c’est le fan qui fait le film et le mec prend son kiffe et ça c’est très plaisant à voir je trouve (même si ça peut poser des problèmes derrière, je trouve la démarche très belle et « vraie »)

the projectionist
the projectionist
7 années il y a

Ce film est une vraie réussite. Merci d’en re-parler ici…

Mandalorwarrior
Mandalorwarrior
7 années il y a

Que dire de plus ? Zack Snyder est un VRAI fan qui fait ces films pour des fan ! Watchmen est un bijou, Man of Steel est génial et Batman v Superman: Dawn of Justice aussi. On peut ne pas aimer ces films, certes. Mais on ne peut absolument pas dire que ces films sont NUL ou MAUVAIS. Ce type est un génie !

Leonidas
7 années il y a

Le meilleur film de superhéros, tous éditeurs confondus.

MFW
MFW
7 années il y a

Vu à l’époque au cinéma j’avais déjà apprécié mais la version Ultimate Cut en fait certainement le meilleur film de Super-Héros jamais réalisé. Esthétiquement impeccable, fidèle au comics sans le trahir par sa fin modifiée. On tient ici un chef d’œuvre qui commence petit à petit à gagner le cœur des gens. Au départ il faut rappeler que comme tout film de Zack il avait divisé se tapant un indécent 55/100 sut Metacritic.
Depuis l’Ultimate Cut que je recommande vivement il est absolument nécessaire de lire puis de voir Watchemen. Ne serait-ce que pour la meilleure scène de sexe du monde sur de Leonard Cohen.

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