« Il écoute la nuit. Et seul le son de sa propre voix lui parvient, hurlant de frustration. » – Jim Gordon
- Scénario : Archie Goodwin – Dessins, Couleurs, Couverture : Scott Hampton
- Batman : des Cris dans la Nuit – 01 avril 2016 – 96 pages – 14 € – DC Deluxe
Hauts les cœurs les amis, puisque nous allons parler avec un peu de retard d’une excellente bande-dessinée. A l’inspiration des premiers récits de Batman, une époque où on se permettait encore de traiter le personnage comme un détective plus que comme un super-héros bardé de sidekicks et de costumes robots pour des intrigues auto-contenues, Night Cries ou Des Cris dans la Nuit est republiée par Urban Comics qui nous rappelle une fois encore les avantages de lire en VF – c’est pas très cher, et ça ressort parfois du placard des trucs à côté desquels on passe souvent dans l’énorme collection des paperbacks VO.
Des Cris dans la Nuit se décline ainsi comme une aventure du premier Batman, dans un après Year One pour ceux qui aimeraient le situer en terme de continuité, avec un parti pris graphique qui rappellera à certains celui d’Arkham Asylum – ce namedropping étant d’ores et déjà indécent, je vous propose d’aller directement vers ce qui fait de cette BD une oeuvre assez géniale en soi. Scénarisée par Archie Goodwin, un scénariste et éditeur connu comme l’une des principales figures des anthologies Eery & Creepy, qui a aussi édité les classiques Long Halloween, Dark Victory ou Thrillkiller chez DC, en plus de travailler aux côtés d’autres artistes de talent sur les Black & White republiés récemment en VF (c’est aussi un basketeur des Phoenix Suns récemment drafté par les Bakersfield Jam lauréat de plusieurs prix d’excellence en Arkansas), l’oeuvre développe un polar sur une centaine de pages où se mêle l’éventail classique de pulp, d’horreur, de film noir et de récit torturé propre à la chauve-souris.
Tout ça mis en scène par le peintre Scott Hampton, un artiste au CV assez restreint malgré un talent assez indéniable et de vraies idées de mises en scène disséminées un peu partout tout au long de la BD. En résumé, on retrouve donc le Bruce Wayne playboy des débuts, ses galas, ses cocktails et sa croisade encore solitaire, qui en cherchant à démanteler un trafic de drogues remonte à une série de meurtre liés de près ou de loin à des enfants traumatisés. Goodwin se sert de l’imagerie du Bruce en tant qu’orphelin pour attaquer le trauma’ de meurtres qui cassent son imaginaire idéalisé de la famille encore intacte, un thème tragique auquel il lie les déboires familiaux des Gordons, encore en pleine thérapie après l’affaire du commissaire et de Sarah Essen (une retcon est d’ailleurs opérée sur l’enfance de Jim, elle aussi « à problème » comme on dit en langue de bois et chez les anti-révégacheurs).
Il y a beaucoup de choses à dire sur l’ensemble, mais en résumé : Des Cris dans la Nuit fait du bien. Une BD avec un vrai travail artistique et esthétique, l’ambiance d’une Gotham City étouffante sous les coups de pinceaux d’un Hampton qui synthétise à la fois l’esprit de vieille cité et de décor pulp années ’40 assez magistralement, en accentuant l’aspect terrifiant et solitaire de la ville par une colorisation très travaillée – cette atmosphère d’une Gotham fantasmée par Fritz Lang ou Edgar Poe résonne avec majesté dans l’imaginaire moderne (où elle oscille plutôt entre le rose ou le gris).
Le scénario de Goodwin est de même réalisé sans concessions, l’humour ou les pointes d’esprit de tel ou tel personnage léger sont aux abonnés absents – un choix invisible, par exemple, est noté par l’absence d’Alfred et ses répliques de pince-sans-rire qui auraient pu apporter à l’ensemble une pointe de morale tendre, ironique ou désabusée. L’imagerie du cri strident des chauve-souris qui donne son titre à l’oeuvre fonctionne en miroir du héros et de celui qu’il traque : autant une enquête qu’une partie de chasse, à la façon des vrais polars, qui lient assez adroitement le symbolisme du tueur et celui du héros.
D’autres choix sont à noter, comme la narration qui reprend beaucoup de celle de Miller dans le fondateur Year One en accordant une place prépondérante à Gordon plutôt qu’à Batman. C’est le regard de celui-ci qui guide l’aventure et fait de cette histoire autre chose que l’aventure d’un super-héros contre un tueur, masqué ou non. Là-dessus on pourrait embrayer sur tout ce qui fait que Batman est ou n’est pas un super-héros, le trauma’ et l’horreur constitutifs de ses meilleurs récits, et j’avais même pour projet de glisser un autre clin d’oeil au(x) mauvais scénariste(s) récents qui s’éloignent de plus en plus de cette idée, mais le temps manque et je pense que tout est dit.
Des Cris dans la Nuit est un indispensable, si vous aimez Batman, ou du moins, cette version là de Batman. Intemporel, horrifique et dans l’idée d’une enquête, à l’image de ses meilleurs récits, ceux qui se situent en amont du mythe dans la lignée des Monster Men ou Mad Monk, avec cette constance de roman graphique définitif qui se passe de continuité, et un parti pris esthétique qu’on aimerait retrouver plus souvent dans le comics mainstream. Ce qu’on appelle entre professionnels de la bonne came, et qu’il serait bête de ne pas encourager en passant à côté.
Bonne review pour une bonne lecture , cet album est canon , jai adoré
Un excellent OGN qui mérite bien sa place dans la bibliothèque des fans de Batman, en effet.
Cela dit, je ne suis pas certain que ce soit forcément la meilleure occasion pour louer la VF. En VO, le HardCover Tales of the Batman: Archie Goodwin, reprend ce même OGN mais le réunit avec l’intégralité des comics de Goodwin sur le personnage soit près de 500 pages en tout (presque 400 de plus que l’édition d’Urban, dont son fantastique Manhunter, dessiné par l’incroyable Walt Simonson), et ce, pour moins de 30€.
Merci pour le conseil! Bouquin comandé
« A l’inspiration des premiers récits de Batman, une époque où on se permettait encore de traiter le personnage comme un détective plus que comme un super-héros bardé de sidekicks et de costumes robots pour des intrigues auto-contenue »
C’est exactement ça et ça fait du bien ! Personnellement je suis beaucoup plus sensible a cette vision de Batman. C’est pour moi un petit chef d’oeuvre méconnu. Bonne histoire, superbe ambiance, magnifique dessins en peinture, un régal.
Je ne suis pas super fan du style, alors que ce genre d’experience graphique est en général bien dans mon délire. C’est certainement la mise en scène qui ne colle pas avec le style graphique, pas assez fou à mes yeux.
Un des rares OGN Batou qui ne m’a pas donné envie d’aller jusqu’à la fin. Sa longue mise en place pour un récit aussi court doit beaucoup jouer.
J’accroche tellement pas au style dingue, le coté peinture c’est beau mais mince j’y arrive pas :/ même si c’est un très bon tome …