Off My Mind #32 – Batman, Déteste moi si tu peux

Suite aux réactions exagérées, mais compréhensibles, après la sortie en salle de Batman V Superman, où Batman semble tuer froidement et marquer au fer rouge la vermine à laquelle il s’oppose de manière (trop) violente, et après un autre Off My Mind traitant du Batman de ce même film de manière très approfondie, j’ai décidé de m’intéresser de plus près à ce Batman, tout comme à la façon dont un scénariste peut aborder le sujet de l’image d’assassin, ou l’utilisation d’armes à feu, dans les comics. Des sujets qui semblent être tabous aux yeux de ces « fans », mais qui paraissent à première vue des thématiques des plus intéressantes et des plus complexes à traiter, pour tout le lot de difficultés qu’entraîne le traitement de ces thèmes auprès d’un personnage, qui reste chez de nombreux fans, associé à cette image de vengeur aux codes stricts et au profond respect envers cette promesse de ne pas utiliser d’armes à feu.

Tu ne l’imaginais pas comme ça, au bout de tes rêves.

Malgré ce problème vis à vis du mythe que l’on peut ériger dans son estime, notre vision personnelle du personnage qui reste néanmoins très influencée par nos lectures et ses adaptations, et ce refus de le voir utiliser une arme, comme cette image fixe que l’on se fait d’un Batman aux multiples gadgets détournant la nécessiter d’utiliser une quelconque arme à feu peu importe la situation. Cette idée de changer le personnage et le détourner de ce code d’honneur ne veut pas dire que ce dernier doit être rejeté. Puisqu’au final, est-ce que tout cela dénature le personnage ? Y a-t-il dans cette utilisation d’arme à feu un non-respect du personnage ? Évidemment que non, le tout dépend du traitement, de la manière dont le scénariste aborde le sujet, ou ne l’aborde pas justement, ou encore le présente. L’on cherche un effet à créer. Pour illustrer je vais parler de quelques exemples plus ou moins connus où notre Bruce bien aimé utilise des armes à feu, pour vous montrer tout d’abord que Batman v Superman n’est pas une insulte aux comics, et surtout pour étudier la manière dont le scénariste amène le lecteur vers cette situation ainsi que son personnage. Parmi ces titres, nous avons du bon, du moins bon, et évidemment, des titres qui font encore polémique tout étant plus ou moins mauvais.

Et puisque l’on parle de polémique, le premier nom qui me vient à l’esprit est bien notre Frank Miller des familles avec son All-Star Batman. En dehors du fait qu’il réussisse à encore faire parler de lui et à diviser avec cette maxi-série incomplète, il reste l’un des auteurs de talent qui aura marqué le personnage par son traitement provoquant qui aura été remarqué par son « originalité » de projeter le personnage dans un futur probable avec The Dark Knight Returns. Mais comme je suis un hipster et que j’ai envie de faire « original », j’aimerais plutôt montrer du doigt que, même si son Batman de TDKR ne tue pas (mais fait particulièrement mal) il n’hésite pas à tenir une arme à la main (cf. la scène de BvS où il « utilise » une arme à feu avec son bouclier humain), dans son All-Star Batman, l’auteur fait encore plus fort. On pourra remarquer quelques hommes brûler, et donc pour certains, certainement mourir suite à une expositions à des chaleurs peu supportables pour un corps humain. Batman tue de sang-froid dans ce récit, je ne vous apprends rien, torture, ses valeurs sont absentes, et a un comportement des plus détestables.

Crions au blasphème ! Miller nous impose une vision du chevalier noir sous les traits d’un personnage antipathique ! Oui. Et c’est justement ce qui rend cette maxi-série intéressante. Son Batman est un anti-héros complet. Et c’est un autre lien à faire avec le film que l’on a pu qualifier comme n’ayant « rien à voir avec les comics« , étant « une insulte au travail de Miller« , parce que oui, Ben Affleck joue un Batman aigri au possible, presque détestable, il est l’incarnation du Batman de Miller dans une version condensée/synthétisée dans ce que l’on a pu voir dans ce film. Je vois ça en lien avec le travail global de Frank Miller sur le personnage, et c’est pour moi une qualité du film. Pour en finir avec le film et nous consacrer sur les thématiques et leur traitement dans les comics, je dirais que pour une fois, DC et Warner ont une sacrée paire de couilles d’avoir sorti une adaptation du travail de Miller, en plus de ce que vous savez (no spoil), surtout en ayant un public aussi divisé face aux comics et à l’auteur.

Mais ce Batman reste l’une des visions les plus attrayantes par son originalité, et cette provocation que l’on connaît à l’auteur. L’ensemble est un plaisir à lire dans une attente d’un Frank Miller provoquant, mais à intégrer dans une continuité, le plus intéressant et le plus complexe reste à intégrer. Tout d’abord, l’intérêt d’arriver à ce statu-quo serait de pousser Batman en dehors de ses limites, de réussir à le faire souffrir jusqu’à ce stade qui reste inédit (c’est foutrement sadique, je l’admets). Pourtant, le petit Bruce est loin d’avoir une vie agréable, entre le meurtre de ses parents, ses nombreuses compagnes dans les années 70/80 puis Jason Todd (sa mort, bien sûr), et Damian, pour n’en rester que dans les grandes lignes. Batman reste fidèle à ses principes auxquels on l’a attaché. Cet attachement à ses valeurs font qu’une fois brisé, réduit au point de s’autodétruire, et par là même détruire ses valeurs par une absence de soutien ou autre, notre chauve-souris d’aujourd’hui pourrait devenir ce Batman sans limite, un anti-héros complet. Mais le Batman actuel n’a pas empêché d’avoir été écrit de différentes manières, il a bien subi une évolution similaire à celle que l’on a évoquée. Il ne s’est pas limité à ce personnage sombre que l’on connaît (ce qui en devient un véritable débat). Pourquoi s’attacher donc tant à ce Batman sombre ? Pourquoi le limiter à ça, alors que nous devons ce côté sombre à ce même Frank Miller ? Des réponses simples reviennent : le cinéma, les attentes de la majorité des lecteurs qui demandent la même chose, la crainte de l’éditeur de s’essayer à autre chose, ou bien l’idée qui ne leur parvient peut-être tout simplement pas.

« Pose ton gun, avant que ne sonne le glas ! »

J’imagine que chacun connaît la plus grande saga, vue par certains comme une insulte, où Batman utilise pour la première fois une arme à feu alors que ses valeurs sont construites et appliquées. D’autant plus qu’il s’agit de Year Two, une pseudo suite à Year One. Sorti du contexte et de son lien avec Year One, cette saga ne reste pas très agréable à lire, sans parler de son prix qui est aujourd’hui assez exorbitant vu la qualité du récit. Il est victime de très, très nombreuses maladresses, en particulier en terme de caractérisation de ses personnages mais possède deux qualités indéniables. Les mises en pages très cinématographiques et qui ont un rendu magnifique, et le traitement général, et j’insiste pour le terme général, de l’utilisation de l’arme à feu. Pour résumer, Batman se fait complètement exploser par un nouveau « justicier » à Gotham, se faisant appeler The Reaper, qui tue froidement. Notre chauve-souris cherche à l’affronter mais frôle la mort à de très nombreuses reprises en quelques pages avant de tomber dans les vapes. Autrement dit, il s’est pris une sacrée branlée. Suite à quoi, il décide d’utiliser une arme à feu afin d’en venir à bout. Tout ceci est complètement stupide, même si la partie où Batman se fait rétamer est particulièrement plaisante, mais s’en suit une réflexion, comme si les limites à la vengeance qu’il s’était imposé s’opposaient pour faire évoluer le personnage. Pour lui donner un nouveau regard sur son passé. Et même si tout cela est très bref, je me suis dit que si l’on supprimait tous les défauts de cette saga (environ 90 pages sur 140), on pourrait avoir un chef d’œuvre entre les mains. Je ne saurais dire ce qui a poussé les auteurs à traiter ces idées de cette manière, pourtant Mike W. Barr est loin d’être un mauvais scénariste à ma connaissance, d’autant plus qu’il a écrit Birth of The Demon la même année.

On retrouve ces valeurs, et donc cette utilisation d’une arme à feu, même si elle dispose d’un motif complètement exagéré au point d’en être absurde, reste sujet à débat au sein même de l’esprit du personnage. D’ailleurs, il finira par rejeter cette idée, et retournera dans cette cage qu’il a lui même forgé avec ses valeurs pour fixer les limites de sa vengeance, et ne plus jamais chuter. Il y reste ici une subtilité du sujet derrière toute cette fausse provocation, qui n’est rien d’autre qu’une tentative de copier, ou de faire référence au travail de Frank Miller. Une subtilité qui est belle et bien absente dans la seconde histoire dont je souhaite vous parler, et qui pourtant reste une des meilleures lectures du genre.

Infected publié dans Legends of the Dark Knight (Vol.1) #83 et 84 (disponibles dans le recueil VO Batman – Legends of the Dark Knight : Monsters). Une courte saga dans laquelle Warren Ellis garde cet aspect trash et sale pour lequel son public l’apprécie. Il travaille ici avec le dessinateur R.M. Guera, qui appuie l’aspect trash et donne à cet ensemble un air de nanar complètement assumé. La volonté de réduire le budget, mais de garder ce trash extrême. Lancé dans cette ambiance, aux premiers abords étranges, presque dérangeante, qui colle au fond parfaitement bien à Batman, l’auteur propose son histoire tirée par les cheveux d’un homme infecté sous une forme de zombie-mutant qui propage ce virus par blessures physiques. S’approchant de Gotham, The Goddamn Batman désire fortement lui exploser le fessier. Exploser est bel et bien le terme puisqu’il finit par le tuer, en lui tirant dessus avec ce joli revolver ci-dessus. Et étonnement, rien n’est dérangeant dans cette lecture, alors que rien n’est détaillé si ce n’est une gradation d’une écriture trash, et d’une sorte de surprise de voir Batman utiliser cette arme à feu, et me dire simplement « Ah, ils ont osé quand même ». Et cet esprit assez Rock, ce Batman sale qui sort des codes, c’est un peu ce qu’on demande au fond. Pourtant, nous sommes vraiment loin de ce que l’on imagine d’un Batman « classique« , et nous avons tous ce même Batman que nous avons tous connus avec son lot de règles auxquelles nous sommes plus ou moins attachés.

Passer d’un Batman tiré de la série animée, par le maître Bruce Timm, au Batman de Morrison et Kubert est loin d’être simple pour un lecteur néophyte, en termes d’attente. Puisque ce lecteur peut être comme enfermé dans sa vision unique du personnage. Plus sombre, plus violent, la découverte du chevalier noir sur ce format papier permet d’accepter une nouvelle vision, et faire une sorte de différence que l’on accepte entre la version écran et la version comics. Pour ma part, je me suis attaché à chacune des visions du personnage, en acceptant les différences qui peuvent être faites, à partir du moment où le scénariste ne néglige pas la relation entre ses thématiques et le caractère indélébile du personnage de Batman comme de Bruce Wayne, ou en y justifiant cet impact. Pour exemple, le passage du Daredevil de Brian M. Bendis à celui de Mark Waid, deux caractères complètement opposés pour un seul et même personnage grâce à une évolution progressive. Deux très bons runs sur le personnage qui ont réussi à donner à Daredevil un tournant, développer un cycle de sa vie dans deux univers graphiques comme environnementaux complètement différents, capable d’associer au personnage un univers très sombre, puis truculent. Et j’aimerais que l’univers de notre équivalent chez DC connaisse (de nouveau ?) cette univers à la physionomie modulable. Qu’il sorte de ce statut dans lequel où il est enfermé et où seul son entourage semble évoluer.

On ne doit pas rester focalisé sur une seule et unique vision du personnage. Essayons d’avoir une vision élargie des choses. Si l’on voit qu’un élément s’oppose à notre version figée du mythe créé par Bob Kane et Bill Finger, alors les erreurs sont bien nombreuses, au cinéma et plus encore dans les comics qui est très loin de cette référence exacte puisque si l’on cherche, ne serait-ce qu’un peu, on remarquera qu’elle s’oppose à elle-même et c’est bien ce qui fait toute sa richesse. Ces personnages ont eu de multiples aspects, des traitements qui se comptent par milliers. Et donc, même si dans une approche générale, Batman est associé à l’idée de cette promesse faite, de ce refus de l’arme, l’intention de le pousser à l’utiliser, de faire de lui un anti-héros, n’est pas à négliger. Je trouve même que la notion d’un statu-quo temporaire où le chevalier noir verrait ses principes, ses règles d’or brisées suite à une sorte de rupture serait intéressant. Je tiens à rappeler que Sean Murphy avait l’intention de faire une sorte de futur alternatif avec ce concept suite à la fin de son incroyable Punk Rock Jesus. Et je trouve dommage que ce projet ait été rejeté.