Review OST – Batman v Superman : Dawn of Justice

•  Batman v Superman : Dawn of Justice Original Motion Picture Soundtrack – Water Tower Music/Sony Classical – 16,99€ (Edition 2CD Deluxe)
• Compositeurs : Hans Zimmer et Junkie XL

La sortie mercredi du film tant attendu de Batman v Superman : Dawn of Justice a soulevé beaucoup d’interrogations chez les amateurs de DC Comics. Ces questions, je les devine : « Doit-on apprécier la musique du film Batman v Superman ? », « À quels accords correspondent les arpèges effectués par le violon à 2 minutes 44 dans le morceau intitulé « Men Are Still Good » ? » ou encore « Qu’aurait pensé Mozart de l’OST de Batman v Superman ? ». Je tenterai de répondre à ces questions fondamentales, et d’autres encore, lors de cette review.

Avant de me lancer dans le vif du sujet, je vous propose une petite introduction sur ce qu’est la musique de film. Selon The New Grove Dictionnary of Music and Musicians, ouvrage de référence pour les musicologues, la musique de film est une musique composée, arrangée, compilée ou improvisée pour accompagner des images animées. Cela peut sembler évident, mais c’est un élément qu’il faudra garder en tête durant cette review car on ne juge pas d’une musique de film en faisant abstraction du film lui-même. Même si elle peut être de très bonne qualité parfois, une OST a été pensée sur des images et à ce titre il serait injuste d’en faire un critique comme l’on juge d’une symphonie qui aurait été pensée uniquement en musique. De la même manière, on ne juge pas un livret d’opéra comme l’on juge un texte littéraire ou encore on ne juge pas un hamster sur sa capacité à grimper aux arbres. Vous aurez compris l’exemple, il est important de comprendre la fonction d’une musique pour en faire une critique à sa mesure et ainsi éviter les comparaisons peu pertinentes telles que « le langage musical est tellement peu complexe par rapport à la dixième symphonie de Chostakovitch, c’est vraiment à chier ». La musique de film, et plus particulièrement la musique d’un film aussi grand public que Batman v Superman, implique beaucoup de choses au niveau de sa composition. C’est une musique qui doit parler à un grand nombre, et donc utiliser un langage relativement simple pour ne pas submerger les oreilles des auditeurs, mais aussi réussir à accompagner voire sublimer l’action du film sans pour autant la submerger. Les principales difficultés de ce type de composition spécifique sont donc de savoir doser sa complexité (pas que ce soit trop plat non plus) et pouvoir jouer habilement avec les moyens à disposition pour coller à une ambiance spécifique, ambiance qui change très fréquemment dans Batman v Superman notamment.

Concernant la musique elle-même, je me référerai par confort aux titres indiqués dans l’album quand ce sera nécessaire mais qui sont suffisamment explicites dans leur dénomination pour les associer à des scènes spécifiques du film.

Dans ces compositions signées Hans Zimmer et Junkie XL, on joue beaucoup sur les contrastes de toute sorte, notamment avec l’introduction d’une basse plus ou moins rapide et habituellement très percussive avec une mélodie principale qui se dessine au-dessus, plus lyrique, dans les scènes d’action. À d’autres moments, on peut retrouver un contraste dans l’orchestration, un grand nombre d’instruments qui s’oppose à un soliste, piano ou violon qui se produit notamment dans « The Red Capes Are Coming, avec alternance d’accords et réponse aux cordes dans un échange assez serré qui va poursuivre avec une opposition entre cordes graves un peu saturées et un autre instrument au son très clair. De manière plus générale, le film alterne entre des scènes d’action et d’autres plus calmes qui va forcément se retrouver dans la musique, avec des changements entre moments des passages contrastés et rythmés et d’autres plus flottants, lents et moins sonores. À ce niveau, c’est une stratégie assez simple mais qui fonctionne plutôt bien. Bien entendu, certains effets sont rajoutés aux instruments qui rendent parfois difficile de dire avec précision de quel instrument il s’agit. Encore une fois dans « The Red Capes Are Coming », on entend un piano avec beaucoup d’écho qui commence ensuite à avoir un son de clavecin avant de dévier sur un son beaucoup plus épuré qui ressemble à du cymbalum (instrument traditionnel tzigane, on frappe sur des cordes à l’aide de petits marteaux que l’on tient à la main, si vous voulez vous faire une idée du son, internet regorge de vidéos sur l’instrument). Cependant, l’effet est plutôt réussi même sans comprendre avec précision quels sont les moyens utilisés.

Lorsque la musique est plus discrète, difficile d’être véritablement gêné par ce qu’elle propose et dans la majorité des cas, elle est assez vite oubliée après visionnage du film. Il reste finalement relativement peu de thèmes que l’on garde à l’oreille après le film si ce n’est le rappel du thème présent dans Man Of Steel, le thème dans « The Red Capes Are Coming » (si j’en ai beaucoup parlé jusqu’à maintenant, c’est bien qu’il fait partie des moments les plus marquants musicalement du film) et le thème qui accompagne les apparitions de Wonder Woman soit « Is She With You » dans l’album. Malheureusement, entre les thèmes plus calmes ou ceux qui soulignent l’action, le volume est parfois un peu mal géré, défaut peut-être propre au cinéma dans lequel j’ai visionné le film, mais il semblerait que le problème se soit retrouvé dans plusieurs autres cinémas également.

Pour revenir sur le motif qui introduit Wonder Woman, on retrouve à nouveau la stratégie de la base très rythmée sur laquelle se déroule le thème, d’abord le thème à la guitare électrique puis un autre, plus lyrique et moins sonore, au violoncelle. Le motif à la guitare, fondé sur quatre notes soit mi, sol, si et la# et très facilement reconnaissable, ce qui est souvent un bon point dans une musique de film car si les auditeurs n’ont pas totalement oublié ce qu’ils ont entendu en sortant du film, c’est plutôt positif pour le compositeur. Malheureusement, le thème apparaît souvent un peu abruptement, ce qui peut agresser un peu l’auditeur puisqu’il est très sonore et apparaît parfois dans des scènes plutôt calmes. Bien qu’efficace en plusieurs points, il est malheureusement souvent assez mal introduit, avec peu de variété, quand il aurait pu être appréciable par exemple, dans des scènes qui ne contiennent pas vraiment d’action, de changer l’instrumentation, pourquoi pas faire revenir le thème plus discrètement pour coller plus justement aux images du film. Concernant la mélodie elle-même, qui correspond à ceci : mi-sol-si-la#-sol-la#-sol-la#-sol-si-la#-sol-la#-sol-la#-sol-la#-si-sol-si-sol-si-sol-la#-siiiii (avec du bon vibrato sur la dernière note), elle est assez bien construite, bien que basée sur un petit nombre de notes. On commence avec ce qui semble être un accord fondamental de mi mineur (mi-sol-si) avant de créer une dissonance avec le la# (tentez donc, si vous avez un instrument à disposition, de jouer sol-la#, si possible en même temps, ça frotte un peu à l’oreille, c’est tendu, c’est ça une dissonance) qui va finalement se résoudre avec le retour du si (sol-si c’est une jolie tierce, ça sonne bien). En plus de cela, sol-la# est une seconde augmentée, et la seconde augmentée est utilisée depuis des siècles pour symboliser une forme d’exotisme qui convient bien à un personnage comme Wonder Woman.

Concernant la complexité de la musique, les accords utilisés sont souvent extrêmement simple, notamment dans « Men Are Still Good ». Le violon effectue des arpèges qui correspondent à des accords de la mineur avec premier renversement (soit mi-la-do), ré mineur avec deuxième renversement (fa-la-ré) et finalement passer en mi majeur avec deuxième renversement soit sol#-si-mi (mi étant la dominante de la mineur). Pour les non-initiés (et il n’y a aucun mal à ne pas être initié, c’est assez technique), il s’agit là d’accords vraiment simples si l’on est habitué à analyser des œuvres de musique savantes du 16e au 20e siècle. On pourrait alors déplorer un certain manque de complexité (pas besoin de quelque chose de trop complexe non plus, mais un peu plus élaboré que cela n’aurait pas gêné les oreilles modernes qui sont les vôtres), d’autant plus que les même accords reviennent à d’autres moments, totalement inchangés.

Pour conclure, après avoir beaucoup parlé, l’OST de Batman v Superman : Dawn of Justice remplit plutôt bien sa fonction mais manque malheureusement parfois de subtilité ou d’imagination dans le traitement des thèmes, qui reviennent en principe tels quels ou avec très peu de changement. La musique fait son job, mais aurait certainement pu se permettre un peu plus d’audace par moment, ce qui aurait aussi permit de varier les thèmes pour les faire plus coller aux scènes du film. Cependant, elle utilise des stratégies certes simples mais souvent assez efficace, pour autant que le volume soit justement géré.

PS : Il manque la réponse à la dernière question soit de savoir ce que Mozart aurait pensé de cette musique. Difficile à dire, mais il est possible de faire les hypothèses suivantes. Dans le cas où il apprécierait cette OST, ça pourrait être grâce aux différents genres musicaux utilisés, de l’électronique à une composition plus classique, puisque l’une des particularités de la musique de Mozart est d’avoir, grâce à une formation très complète effectuée partout en Europe, composé en mélangeant beaucoup de style, usant de techniques de musique instrumentale, d’opéra italien ou encore de musique plus traditionnelle amenée par les Turques à Vienne. Dans le cas où il n’apprécierait pas l’œuvre d’Hans Zimmer et Junkie XL, on pourrait imaginer qu’il trouve cette musique un peu trop simple, puisqu’il a tendance à en faire beaucoup dans ses propres compositions, et peut-être avec pas assez de notes, par opposition au reproche que lui a fait Joseph II sur ses œuvres (en effet, anecdote historique, l’empereur a déjà dit à Mozart en parlant d’une de ses compositions qu’elle avait « trop de notes »).

PPS : Il y a effectivement du Chostakovitch en musique intradiégétique, une valse qu’il a composée qui fait partie de sa musique « alimentaire ». Mais c’est un morceau beaucoup trop utilisé (à croire qu’il n’a rien composé d’autre…) qui est devenu un de ces clichés musicaux dans les films qu’il faudrait proscrire à mon avis, avec la Chevauchée des Walkyries de Wagner et l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini.