Off My Mind #26 – Captain Marbles & Superduperman

Les biographies éditoriales des héros de DC Comics vont et viennent au gré du bon vouloir des scénaristes et des relaunchs occasionnels de continuité. Il en est un cependant, quelque peu différent des autres héros de la maison, dont l’existence a surtout été guidée dans une grande partie de sa vie par un autre élément de l’envers du décor : les droits de propriété, le copyright, et les décisions de la justice Américaine.

Longtemps avant de s’appeler Shazam, ce personnage avait pour nom Billy Batson, et quoi que l’histoire générale de DC aime à retenir du golden age le succès écrasant de Superman, un petit gamin d’une autre maison lui tenait à l’époque une sérieuse rivalité. Superman & Captain Marvel, Billy Batson & Clark Kent, Fawcett et DC Comics, un combat rentré dans la légende de la BD Américaine et dont les conséquences auront conduit à deux ou trois faits marquants des années plus tard.

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Wisdom of the Ancients

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En 1938, l’apparition de Superman dans Action Comics #1 par Siegel & Shuster engage la première vague d’un genre nouveau : le super-héros. De nombreux éditeurs s’engouffrent dans la brèche, et s’engage chez DC une chasse aux sorcières à l’encontre de ceux qu’ils considèrent comme d’authentiques plagiats du héros en bleu : le Wonder Man de Will Eisner chez Fox Feature Syndicate, le Master Man de Fawcett Publications (remplacé par Bulletman après le dépôt de plainte) et Captain Marvel chez le même éditeur.

Si Fawcett avait accepté de céder à Master Man, le personnage de Batson représente à l’époque un enjeu de poids sur le marché. Créé par Charles Clarence Beck et Bill Parker, le Captain est à l’époque un phénomène de vente égal voire supérieur à Superman, un héros particulièrement populaire chez les enfants au simple motif de sa condition de gamin super-héros. Le succès est tel que Fawcett multiplie les spin-offs et versions alternées du personnage, résultat de la Marvel Familly, avec Mary Marvel, Captain Marvel Jr., Uncle Marvel et Hoppy, le lapin Marvel (oui). La société qui sera un jour renommée DC Comics (à l’époque National Publications) attaque en 1941, forte d’un dossier de 150 pages pointant les ressemblances entre Superman et le Captain pour un procès d’une durée de sept ans, qui s’achèvera sur un brillant non-lieu. L’éditeur n’en reste pas là et fait appel de la décision, jusqu’à obtenir la victoire en 1951, soit une dizaine d’années après la plainte initiale.

Le temps a passé, et l’après-guerre n’est plus une période favorable pour les super-héros qui déclinent grandement dans les ventes. Plutôt que d’aller en cour suprême faire valoir ses droits, Fawcett décide alors de s’arranger avec DC, et de leur régler une certaine somme d’argent en dommages et intérêts, et la promesse de ne plus rien publier des aventures de Billy. S’arrête alors toutes les séries liée aux Marvels, et Fawcett se retire ensuite peu à peu du marché des héros à pouvoirs. L’Homme d’Acier terrasse le Captain, après avoir déjà vaincu ses propres créateurs quelques années plus tôt (contrairement à eux, Batson en restera là).

War – What is it Good For ?

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Des suites de l’affaire (rentrée dans l’histoire de la jurisprudence sur le copyright aux USA), pas mal de héros récupèrent l’héritage ou simplement le nom de Captain Marvel. La première réaction a lieu en Angleterre, où les comics de super-héros sont déjà largement distribués. Un petit éditeur britannique, L. Miller & Son, faisait à l’époque le gros de ses ventes sur les reprints en noir et blanc des aventures du Captain et de sa famille, et se retrouve après le jugement privé de sa publication majeure. Len Miller, éditeur en chef de la société, se tourne alors vers Mick Angelo, qui crée la même année (1954) Marvelman et Captain Universe, deux personnages grandement inspirés par Billy Batson dans le ton et les pouvoirs. L. Miller & Son poursuit en parallèle les réimpressions des autres séries Fawcett, et prend la posture de ne rien changer à sa cible de lectorat : l’esprit de Captain Marvel survit, loin de la férocité judiciaire de DC, et suffisamment modifié pour être à peu près hors d’atteinte.

En civil, Marvelman n’est pas un petit garçon, contrairement à son inspiration en rouge. Il s’appelle à la ville Micky Moran et est journaliste (« comme Clark Kent ! »). Moran rencontre un jour un astrophysicien qui lui donnera le pouvoir de devenir un super-héros, non pas grâce aux pouvoirs de divinités mythiques, mais grâce à l’énergie atomique : « Shazam » devient « Kimota« , et le personnage rencontre à son tour une famille de sidekicks aux pouvoirs similaires. De son côté, Captain Universe (au succès confidentiel) tient ses pouvoirs de génies de l’Histoire, et crie « Galap » (pour Galilée, Archimède, Léonard de Vinci, Aristote et Pythagore) pour activer ses pouvoirs. Le personnage resservira à Alan Moore dans sa Ligue des Gentlemen Extraordinaires (version 1910) avec Kevin O’Neill.

De l’autre côté de l’Atlantique, en marge du silver age et du recul progressif des héros DC, un petit éditeur de séries de western se lance à son tour dans le grand bain. Propulsé par un certain Stan Lee (et un anonyme, Jack Kirby, je ne sais pas si le nom est utile à mentionner), les 4 Fantastiques de Marvel Comics lancent une nouvelle vague de super-héros « modernes » dans le flot des années ’60. Rattrapés par le besoin du nom, Marvel sécurise l’appellation « Captain Marvel » en 1967 avec le premier personnage à porter ce nom chez l’éditeur, qui n’a à l’époque pas grand chose à voir avec l’héroïne actuelle. Losqu’en 1972, Carmine Infantino tente de relancer le personnage chez DC sous le titre The Original Captain Marvel, l’appellation se heurte au copyright de l’indistinguée concurrence. Billy Batson revient alors dans Shazam #1, en février 1973, et cette fois, pas de procès – après avoir passé les dernières années dans un tribunal contre les avocats de Siegel & Schuster, ceux de DC avaient sans doute besoin de repos.

Stuck in the Middle with You

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Dans les années ’70, les aventures du Captain chez DC ne rencontrent pas le succès escompté. La popularité du héros au golden age s’est étiolée par ses années d’absence, ce malgré un effort certain de l’éditeur (le personnage a droit à son adaptation en série TV en 1974 puis à un dessin animé en 1981). Le héros reste confiné sur une Terre lointaine du reste des publications DC avant de rejoindre le tronc principal au sortir de Crisis on Infinite Earths. Après un projet de relance par John Byrne dans la veine de Man of Steel qui ne verra finalement pas le jour, DC achète une fois pour toutes les droits du personnage, jusqu’ici utilisé sur un simple accord de licence.

Les années ’80 sont, à l’inverse, une période faste pour Marvelman. Relancé chez Warrior, éditeur britannique aussi célèbre pour les premières parutions de V for Vendetta, le personnage est confié à Alan Moore, qui en fera le porte-étendard des débuts du Dark Age, dans une version intégralement repensée et préfigurant de son travail sur Swamp Thing et les Watchmen. Le personnage passera ensuite chez Eclipse aux Etats-Unis en août 1985. Pour éviter un problème avec Marvel, là encore, il est lui aussi rebaptisé. MiracleMan voit le jour, ses droits sont alors partagés entre l’éditeur et les scénaristes, le run légendaire de Moore est poursuivi par l’arrivée de Neil Gaiman, avec le même niveau d’excellence. La série s’arrêtera cependant en plein vol suite à la banqueroute d’Eclipse en 1993, soit un an après l’apparition d’Image Comics sur le marché (tout est lié, beh ouais).

Car c’est bien chez Image que le personnage continue sa route, après que Todd McFarlane, fondateur de l’imprint, ait sécurisé les droits créatifs de l’éditeur défunt. Micky Moran réapparaît sous le nom « Man of Miracles » dans Hellspawn #6 en 2001 (l’ami McFarlane avait aussi prévu une ou deux figurines à l’effigie du personnage). Cette récupération se fait contre l’avis de Gaiman, qui affirme que McFarlane ne détient pas les droits du personnage et s’engage à son tour dans un procès. L’auteur anglais dédicace d’ailleurs son travail chez Marvel1602, « à Todd », avouant volontiers en interview n’avoir accepté de travailler chez l’éditeur que pour financer les frais de son action en justice. Le jugement est rendu en 2009, et interdit à McFarlane l’utilisation du personnage, n’ayant pas acheté les droits au créateur original, Mick Angelo. Un oubli surprenant compte tenu de la philosophie d’Image, sensée être tournée vers les auteurs et le droit de propriété.

Marvel rebondit sur ce procès pour acquérir les droits de MiracleMan auprès de Mick Angelo la même année. L’éditeur publie actuellement avec Neil Gaiman ce qui aurait du être la fin de son histoire chez Eclipse il y a vingt-cinq ans. À noter en parallèle, dans la vague créative du Vertigo des années ’90, un autre personnage inspiré de Captain Marvel est relancé sous d’autres couleurs, il s’agit de Kid Eternity (Grant Morrison, Duncan Fegredo).

I Want You Back !

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En bref, au terme de soixante-quinze ans d’histoire et de parutions éclatées ou inspirées, Billy Batson et ses descendants auront passé quelques années dans les salles d’attente des cours de justice, de ramifications éditoriales en ramifications éditoriales, jusqu’à l’ère moderne et le relaunch des New 52. C’est dans les back-ups de la série Justice League que Geoff Johns fait de Shazam l’appellation définitive du Captain Marvel, en gommant au passage la tonalité années ’40 du héros. Le personnage rejoint la Justice League, un film est annoncé pour 2019, aux côtés d’une adaptation de Captain Marvel prévue par Disney pour 2018.

À défaut d’être particulièrement présent chez DC à l’heure actuelle, cette mise en avant du cinéma pourrait s’accompagner d’une présence plus importante du Captain dans les parutions futures. Une occasion en or de voir revenir la popularité du héros, autrefois gênante pour l’éditeur, et qu’il n’a depuis jamais réussi à retrouver. Restent quelques années discrètes mais réussies, où Billy s’est illustré même dans les moments les plus pénibles du DC Proper récent, avec un excellent numéro de Five Years Later, un génial diptyque dans le cyclone Convergence, et une apparition irréprochable dans le Multiversity de Grant Morrison.

La tempête juridique calmée, à une époque où DC semble s’être accordée avec les héritiers de Siegel & Schuster et crédite enfin Bill Finger sur les séries Batman, peut-être serait il temps de voir les Marvels entrer par la grande porte. Après tout, si l’éditeur a réussi à sortir au moins une bonne série de Convergence avec Loïs & Clark, il n’y a pas de raison de s’arrêter en si bon chemin.

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BRISAK
8 années il y a

Merci pour ce dossier Corentin. Très bien!

DarkChap
DarkChap
8 années il y a

Bon article, expliquant bien cette situation aux nombreux rebondissements.
Juste une petite précision, c’est au nom du droit des marques (« trademark ») que DC ne peut plus utiliser le nom Captain Marvel ou que MarvelMan avait été rebaptisé MiracleMan, pas au nom du droit d’auteur (« copyright »).
Le droit d’auteur, c’est la protection du contenu d’une oeuvre. Il nait naturellement avec l’oeuvre, sans la moindre formalité.C’est sur ce fondement que DC avait agit contre Fawcett au vu des similarités entre les personnages.
La marque, c’est un nom que tu apposes sur ton produit. A la différence du droit d’auteur, il faut la déposer auprès d’une administration. Dans les années 60, la société Timely Comics (l’ancien nom de Marvel Worldwide) a déposé « Marvel » et « Captain Marvel » en tant que marques, ce qui leur a permis d’interdire à DC de mettre sur la couverture de leurs comics « Captain Marvel » et de menacer les comics « Marvel » – Man.

Martianlegacy
8 années il y a

Peu importe les marques déposées, dans mon cœur et mon imaginaire qui ne peuvent pas être soumis aux lois de l’argent, Billy Batson restera le Captain Marvel et Shazam le nom de ce bon vieux sorcier. Pour DC Rebirth je veux du Captain Marvel de Fawcett City ! :)

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