Review TV – Lucifer S01E03 « The Would-Be Prince of Darkness »

Les points positifs :
  • Un procédural somme toute satisfaisant
  • Tom Ellis joue le jeu
Les points négatifs :
  • N’amène rien d’original sur la table
  • Aucune inspiration, aucune ambition
  • Le grotesque de la promesse
  • Neil Gaiman/Mike Carey

« Another reason to hate L.A. » – Lucifer


  • Lucifer Saison 1 – Épisode 3 – The Would-Be Prince of Darkness
  • Réalisation : Louis Milito – Scénario : Jason Ning, Jenn Kao – 8 février 2016 – Fox

« Folie ! Infamie ! Ténèbres ! Qu’est ce ? Une note pareille, Corentin ? Tu es fou. Même le plus grand déplaisir ne mérite pas, selon le simple critère objectif, d’attribuer une note pareille au moindre épisode de n’importe quelle série. A plus forte raison quand cette vaillante objectivité t’autorise à surnoter les épisodes d‘iZombie qui, bon, on va pas se mentir, sont honnêtement moins bons que les trois premiers de Lucifer. Où est ce courage, Corentin ? Où est passé ton professionnalisme ? ». Tu as raison, foule en colère. Cette note, qui représente beaucoup pour vous j’en suis sur (c’est tellement important au quotidien), n’est pas le constat honnête de la qualité de cet épisode. J’y reviens plus bas, mais plus généralement, mettons que c’est le compromis chiffré d’un fan de comics devant l’absurdité de certains projets, face à la pieuvre Hollywoodienne et son irrespect général envers tout ce qui sort du cadre.

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Commençons par là : Lucifer n’est pas un mauvais produit de série TV. En tant que tel, la caméra tient sur son pied, les acteurs font ce qu’on leur demande, l’étalonnage général cherche à imposer son style, et cet épisode comme les précédents semble fidèle à son archétype de procédural neuneu. Tom Ellis se débrouille bien, sans chercher encore à fouiller son personnage, dans cette caricature de Diable adulescent qui se découvre un désir de justice. C’est un produit, une série comme il y en a des tonnes, et que le public moyen qui a accroché à Bones ou toute autre déclinaison du modèle pourra apprécier, selon les différences qui interviennent çà et là. Problème, ce n’est effectivement que cela : un produit. Commandé, formaté, depuis la construction de l’épisode, le schéma de pensée de ces personnages ou les situations, l’écriture pue le déjà vu, déjà exécuté, déjà anticipé. Un nouveau « format » de série policière, où on introduit un personnage vaguement borderline (à la House) pour gentiment secouer la pensée Américaine – avec succès, vu que la pétition des mamans concernées continue de courir pour interdire la série. D’ailleurs faudrait que je pense à la signer.

Lucifer Morningstar, ce Lucifer en tout cas, n’est pas le démon biblique ou littéraire imaginé bien avant que Neil Gaiman n’ait dans l’idée de le rêver en BD. Vaguement lubrique, ce Diable là est un dandy charmant, qui aime l’humour et la bonne société, son seul vice étant de corrompre les hommes jusque dans leurs bas instincts (ce qui se résume surtout au sexe, assez logiquement). Son système de valeur est dicté par le public ciblé, il n’encourage pas (comme Hannibal, autre personnification télévisuelle du diable encore récente) l’homme dans son instinct meurtrier, toxicomane ou violent. Sa provocation reste à la mesure d’une chaîne grand public reçue par des millions de foyers : un Satan-épouvantail, qu’on agite à la morale puritaine comme une provocation scandaleuse, et qui passe à côté de son sujet. Sans avoir le charisme, la présence ou la noirceur qu’on prête généralement au personnage en fiction, la série fait un gros gâchis de son Morningstar, ici simple bon vivant vaguement porté sur les galipettes, et qui dissimule tout un tas de failles qu’il exorcise chez son psy. Certaines situations en deviennent grotesques, quand le personnage commence à ressembler à un gosse suffisant qui aurait décidé de commencer à fumer pour choquer ses parents. Parce que c’est la Fox et que les intrigues complexes pourraient lasser la famille Michu (aux Etats-Unis, ça se prononce « michew »), le Diable n’a pas de grand dessein, pas de plan de long terme, pas de but existentiel. C’est un fils à papa de trente ans, qui dilapide l’argent de son père et règle ses conflits intérieurs chez le psy. Rationnel ? Peut-être bien.

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Chacun se fera juge de ce manque d’ambition et de personnalité – on parle d’un personnage qui représente le mal absolu dans le mythe classique, remarquez, rien d’intéressant dans un scénario – mais qui pose une question que pas mal de déjà-fans aimeraient éviter : qu’est ce que Lucifer a à nous raconter ? Ce n’est pas une adaptation de comics, le débat semble déjà réglé. « On juge les adaptations à l’aune de ce qu’elles proposent, et pas par rapport aux livres », comme le dit si bien la pensée unique (avec son éloquence habituelle qui met tout le monde d’accord). Sauf que l’intérêt d’une adaptation, de comics – ou de bouquin en général – est de voir des idées issues d’autres médias transparaître à l’écran. Des idées que, par exemple, une série TV pourrait ne pas avoir eues. On peut très bien voir en quoi Flash, Arrow ou les séries de Marvel sur Netflix contribuent à cette idée : le super-héros est un genre né et porté par la bande-dessinée. L’amener à l’écran permet d’enrichir le paysage audiovisuel, bien souvent peuplé d’enquêtes policières et de romances à deux ronds, qui accueille donc favorablement cette autre proposition, selon ce qu’elle peut en faire. Il en va de même pour d’autres genres, généralement cantonnés au cinéma et que le petit écran commence récemment à proposer lui aussi. Or, dans le cas de Lucifer, il ne s’agit pas d’une « adaptation libre » ou « d’une inspiration lointaine ». Chaque épisode a des airs de viol collectif, où une poignée de producteurs auraient décidé de se réunir pour abuser à la race l’auteur ou le lecteur de la BD originale, avec le respect et la délicatesse d’un énorme bukkake. Lucifer ne retient rien de ce qu’aurait pu amener la BD ou de ce qui en faisait l’intérêt. C’est juste un clone de série policière. Comme Elementary est un clone de série policière avec Sherlock Holmes, ou iZombie un clone de série policière fauchée avec une (des ?) zombies. Avec la romance en bonus.

Ce qui nous amène à la question : à quoi bon ? Pourquoi ? Est ce que la télévision avait vraiment besoin d’une autre série policière ? Est ce que les gens ont autant de temps à perdre, à l’heure où même les séries policières s’éloignent du carcan case of the week ? Pour aller plus loin, est ce que c’est ça, la réponse de la télévision au streaming, à Netflix, Hulu, aux chaînes cablées et au téléchargement ? La même série depuis dix ans, en boucle et sur toutes les chaînes, avec deux trois variations jusqu’à ce que ça ne marche plus ? Vous me direz que je cherche trop loin – vous auriez raison (ça vous arrive parfois). Je vais prendre du recul, et enlever la perspective « fan de comics » de l’équation. J’aime les séries. J’aime les polars. J’aime m’affaler sur mon canapé en me racontant que je bosserais sur mes cours plus tard (douce illusion) devant un film ou une série. Or, que m’apporte Lucifer que je n’ai pas déjà ? Pour peu que je fasse un minimum de recherches, j’en trouverais dix meilleures que celle-ci. Pire ! A défaut d’être meilleures, j’en trouverais qui feront mieux passer le temps.

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Maintenant, le fait est que l’existence seule de cette série pose problème. Vous n’avez pas lu le comics, je comprends bien. Mais fermez les yeux (et détendez vous, j’ai besoin que vos chakras soient très attentifs), et imaginez que ce soit vos personnages préférés qu’on prenne pour les plier à ces codes de télévision. Soap opéra, sitcoms avec rires enregistrés, procédurals répétitifs, le même mélange impersonnel d’humour, d’action, de fil rouge entre des enjeux hebdomadaires, et de rationalisme. Vous me direz que le freak of the week existe déjà sur certaines séries actuelles. C’est vrai, mais le format super-héros s’y prête à peu près, ça en a même été la norme pendant plusieurs décennies. A l’inverse, Sandman, Lucifer, Preacher, Scalped ou iZombie (qui est autant concernée que la série de la Fox) sont des récits d’auteurs, écrits avec un début, une fin, et entre les deux, une histoire à raconter. Déformez pour changer de format, selon le principe « laissez les créatifs décider », rien de plus normal, cela peut même aboutir à de très bonnes choses. Mais cela peut aussi mener à écraser tout ce qui fait que ces histoires ont été écrites. De même chez les super-héros, la « version alternative » qui préfère une vision plus adaptée à ce que les producteurs pensent recevables par le spectateur lambda peut aboutir à s’éloigner de la richesse initiale. Après dix années de Smallville, et plus de dix ans sans le moindre film dédié à une super-héroïne (parce que Catwoman ou Elektra avaient aussi « leur vision »), peut-être qu’il serait temps d’interroger les intentions de ceux à qui on confie le destin des oeuvres qui nous plaisent. Des questions qui peuvent se poser pour des projets très récents, et seront sans doute amenées à revenir cette année. Si Lucifer n’est pas le premier symptôme, il manifeste d’un monde où la richesse des comics a moins de valeur que le formatage culturel et créatif d’une culture censée être précieuse pour moi et pour vous. Est ce que vous avez réellement envie d’un monde pareil ? (là je vous entends pas, donc je vais pas répondre à votre place : non !).

Bref, après toutes ces divagations, je vais être honnête : lors de la dernière réunion, la rédaction s’est demandée collégialement si elle devait poursuivre les reviews de Lucifer. Je ne vous dit pas ça pour justifier une décision collective visant à « basher » (selon le terme stupide en vigueur) cette série. Plutôt pour souligner son aspect problématique parmi les lecteurs de comics. Comme n’ont pas manqué de le souligner plusieurs lecteurs lors de précédentes critiques, Lucifer n’est pas vraiment une adaptation au sens strict. Or, qu’on le veuille ou non, ce site est pour sa part concerné par l’aspect comics des choses. DCPlanet n’est pas un site s’adressant aux fans de série TV (Dieu sait qu’on parlerait moins de la CW si c’était le cas). Peut-être est il amené à le devenir, par la force des choses et des myriades de projets lancés au hasard par Johns et Goyer dernièrement, mais en l’état, attendu qu’il reste d’autres étales pour vous dire « c’est de la bonne came, t’inquiète », ma conviction est que cette série et ce qu’elle représente est nocif dans le cercle des adaptations de BD.

Plier un – bon – comics à l’exigence d’un studio qui nivelle par le « normal/acceptable » n’est jamais un bon signe. Ce Lucifer n’est pas le personnage noir de Carey, son message sur la rébellion ne transparaît pas (au contraire, c’est pire si on s’intéresse aux idées), et cette série ne lui ressemble en rien. En tant qu’adaptation, c’est un ratage total – en tant que série TV, c’est un produit lambda. Pour conclure sur une anecdote, apprenez que le design initial de Lucifer dans Sandman avait été, à la demande expresse de Neil Gaiman, calqué sur le physique du chanteur David Bowie. Quoi que le rapport soit lointain, je trouve personnellement ironique, après le départ d’un artiste si créatif, que ce descendant indirect de sa carrière manque à ce point de personnalité.

En passant par les liens affiliés BDfugue/FNAC/autres présents sur le site, DCPlanet.fr reçoit une faible commission. Qu’importe le montant de votre panier, vous nous aidez ainsi gratuitement à payer l’hébergement, modules, et autres investissements pour ce projet.

Corentin

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MadAsAHatter
8 années il y a

0,5 étoiles alors qu’en dessous il y a des meilleures notes? J’ai pas lu mais c’est clairement du bashing gratuit.

En tout cas cette série me fait vraiment pas envie après avoir vu le premier épisode, toujours pareil dans toutes les séries qui deviennent policières à partir d’un personnage modelé pour l’occasion mais qui porte le nom d’un type qui existe dans le monde des comics, c’est lassant.

Pipadou
8 années il y a

Wow, merci Corentin pour cette loooongue review mais fort intéressante. Je n’ai pas réussi à accrocher à la série et j’ai quitté le navire avant la fin du premier épisode, sentant qu’on allait arriver à une Nième série procédurale. Perso’ je ne digère plus ce format de série.
Au moins, vos reviews m’auront définitivement convaincu (TheRiddler avait déjà semé les graines, vous les avez faites germer) de me lancer dans Sandman (après Hellblazer, Swamp Thing, Preacher dans l’ordre). Bon courage pour les reviews à venir et bon visionnage à ceux qui ont accrochés à cette série

MadAsAHatter
8 années il y a
Répondre à  Pipadou

Belle initiative!

Vakarian
Vakarian
8 années il y a

C’est comme si un fan de Batman pur et dur des années 60 découvrait une série TV 3ème degré avec des « pif » et des « bang » !
Non bien sûr il y a un peu d’exagération dans mon propos mais ça reflète un peu ce que peut penser ce bon corentin, sauf que dans la série TV Batman, il y avait quand même du talent.

Vakarian
Vakarian
8 années il y a
Répondre à  Corentin

Sauf erreur de ma part, il me semble que le comics Batman de l’époque se sont adaptés pour surfer sur le succès de la série avec Adam West et non l’inverse.

Rhyfel4815
Rhyfel4815
8 années il y a
Répondre à  Corentin

Cela n’empêche que la série est extrêmement stupide pour rester poli….

maided
maided
8 années il y a

Comme le dit Corentin le plus gros problème de cette série c’est n’apporte strictement rien.
Ni au genre adaptation ,ni au genre procedural ,ni au genre fantastique…
De plus, un acteur charismatique ne fait pas tout ,surtout si il est pas motivé.

D’ailleurs les audiences au US s’effondrent de semaine en semaine (- 2 millions ne 3 semaine…c’est plus une claque à ce niveau mais un coup de poing de la part de Superman en rogne)

Dans le genre procedural fantastique Forever était beaucoup plus réussi.

Bref, rassurez vous, je ne pense pas que cette série dure longtemps

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