« Hell, in the real world ? Superman falls off a horse and ends up in a wheelchair. » – Josh
- Scénario : Eric Kripke – Dessin, Encrage & Colorisation : John Higgins
- VERTIGO COMICS – Jacked #1 – 25 novembre 2015 – 32 pages – 3.99 $
Annoncée en grandes pompes durant la SDCC 2015, Jacked s’inscrivait dans ce coup de fouet donné à Vertigo qui a vu son offre augmentée de nombreux nouveaux titres, portés pour certains par des grands noms de l’industrie. Aux commandes de cette série, Eric Kripke, surtout connu pour être le créateur de la série télé Supernatural, et John Higgins, artiste britannique qu’on retient surtout pour être le coloriste original de Watchmen et The Killing Joke, mais que les lecteurs francophones ont déjà pu voir au dessin aux côtés de Garth Ennis et Warren Ellis sur Hellblazer.
J’aurais voulu être un super-héros
Josh est un de ces énièmes quinquagénaires à la dérive de 2015. Il s’est fait virer par sa boîte récemment, et à cinquante balais, on a fini d’être considéré comme compétitif sur le marché du travail. Il est bedonnant, il a des problèmes gastriques, des problèmes de dos, des problèmes de genou, des problèmes de prostate. Son mariage n’est même pas l’ombre des rêves qu’il y avait placés. Sa sexualité est une blague. Ses gamins le trouvent le nul. Il est accro au porno. Il en a marre de sa vie. Bref, Josh, c’est toi, c’est moi, maintenant déjà ou dans quelques années, pas de doutes. C’est un adulte désabusé aux ambitions de jeunesse réduites en bouillie. Mais tout va changer pour lui lorsqu’il se procurera une drogue louche appelée Jacked.
Selon une vieille habitude de Vertigo, Jacked parle du super-héros, plus précisément du décalage entre l’univers optimiste des super-héros et la réalité terne de leurs lecteurs. Ce décalage est balancé dès les premières pages et servi par une écriture acérée : ‘Hell, in the real world ? Superman falls off a horse and ends up in a wheelchair.‘ Peut-on trouver meilleure métaphore dudit décalage que le tragique accident de Christopher Reeve, incarnation pour toute une génération de vérité, de justice et d’idéal américain, à qui le destin impitoyable a tiré un croche-pied rigolard ? Eric Kripke enfonce encore le clou en rappelant l’existence des parodies porno de super-héros, déformation nauséabonde de quelque chose de lumineux et, disons-le, sacré, en un produit de consommation lubrique et stérile.
Ça, c’est ce que j’appelle de la caractérisation
Le portrait de Josh est violent, parce qu’il est particulièrement lucide. En disant ‘There’s this cliché that it’s the wife who never wants sex. It’s not true. When you’re married, you both kinda let it… drop through the cracks.‘, il évoque une réalité qui nous dégoûte, avec autant de couilles que Sam Mendes à travers le personnage interprété par Kevin Spacey dans American Beauty. Mais le cynisme seul ne suffit pas, et ici s’il touche le lecteur, ce n’est pas par sa seule lucidité, mais également par la nostalgie qui vient sans cesse le nuancer, comme dans cette page à la mise en scène brillante qui alterne visions actuelles du couple de Josh, dont la communication et la tendresse ont été bannies, et flashbacks de leurs débuts : ‘When did things get so… silent… between me and Annie ? We used to watch the city lights. We used to watch each other.‘ Un peu à la manière d’un Garth Ennis dans Preacher quoique abordant une horreur différente, peut-être plus glaçante car plus proche du lecteur, ce n’est que parce que cette horreur est sans cesse placée en opposition avec une nostalgie, une poésie, et une soif de beauté, d’idéal, qu’elle captive.
La présentation du personnage principal, franchement atypique pour porter une mini-série, est réellement exemplaire. De son histoire d’amour gâchée à son incapacité à rendre ses mioches fiers de leur père, en passant par l’apathie molle qui fait de ses jours une routine mortifère amenuisant petit à petit tout espoir de sortir de cette merde, Eric Kripke dresse un portrait puissant de anti-héros, charismatique parce qu’il déteste le rôle cynique qu’il est contraint de porter. L’arrivée dans sa vie de cette drogue miracle paraît presque anecdotique, mais permet une scène finale fantastique, en plus de servir de déclencheur à une trame qu’on va attendre avec fébrilité, c’est certain.
John Higgins, 66 ans, toujours dans le coup
Mention inévitable à la partie graphique, également réussie, et la prouesse est d’autant plus impressionnante lorsqu’on songe que John Higgins s’occupe à la fois des crayonnés, de l’encrage et de la colorisation. Si certains artistes dans le paysage depuis les années huitante ont été laissés sur le carreau lorsque de nouveaux talents se sont mis à émerger, John Higgins montre ici qu’il n’est pas à considérer comme un old-timer. Sa colorisation est résolument dans dans son temps, terne à l’image de la vie de Josh jusqu’à ce que ce dernier se mette à prendre sa pilule, alors elle glisse dans des tons plus flamboyants, évoquant la manière dont cette drogue miracle enflammera sa vie définitivement. Le classicisme de son trait, particulièrement efficace sur les personnages, évite de subir tout reproche de paresse lorsque le lecteur remarque l’aisance du même dessinateur lorsque des séquences d’hallucinations interviennent. Honnêtement, on peinerait à trouver où frapper pour apporter de la nuance dans l’examen du rendu esthétique.
Le bilan est extrêmement positif à l’issue de ce premier numéro. Jacked souligne avec intelligence et maîtrise le décalage entre notre réalité cynique et l’univers des super-héros, et se démarque des titres ayant abordé le même aspect par son anti-héros atypique, aux faiblesses et aux frustrations si humaines qu’on ne peut s’empêcher de s’y identifier avec dépit. Il reste à voir dans quelle mesure Eric Kripke parviendra à installer un rythme après cette entrée en matière percutante, mais pour l’instant tout nous encourage à placer de sérieux espoirs dans ce nouveau titre.
TheRiddler avoue avoir des problèmes de prostate ou j’ai mal compris le deuxième paragraphe?
Et je te parle même pas de ma sexualité.
Merci pour la review, ça donne vraiment envie de se plonger dedans, en espérant que Vertigo remonte la pente.
J’attends tellement plus rien de Vertigo, mais cette recension est très intrigante. Sachant que tu cites, niveau vulgarité outrance on se situe où ?
Pas du niveau d’un Garth Ennis ou Warren Ellis, relevons surtout une scène de sexe timide où on voit les fesses poilues d’un mec de 50 piges, et allusions explicites au porno avec une scène de prise en levrette dessinée en tout petit.
Et sinon il y a deux ou trois « fuck » qui s’invitent ou Kripke a fait dans le suggéré ?
Une poignée de « fuckin », « motherfucker », « fucker », mais rien d’excessif!
J’aime l’excessif ! C’était juste pour avoir une idée de la tonalité générale. Mais je vais probablement investir dans le TP. Je vais guetter tes prochaines reviews pour voir si l’essai se transforme.