Review VF – Garth Ennis présente Hellblazer Tome 2

Les points positifs : Ça vous arrachera des larmes. Et des rires. Steve Dillon prend plus de place Les points négatifs : On ne se moque pas du Stranger et de Swamp Thing, hé ! Un point de non-retour pour Constantine ? L’humour désamorce parfois les passages plus sérieux

« Vient toujours un moment dans les meilleures fêtes où il ne reste plus que deux mecs et une bouteille de whisky… »

• Scénario : Garth Ennis – Dessin : Steve Dillon, William Simpson

• VERTIGO SIGNATURES – Garth Ennis Présente Hellblazer Tome 2 – 28 août 2015 – 464 pages – 28€ / 42 frs

Après un premier tome qui démarrait en fanfare avec la condamnation à mort de John Constantine, le run de Garth Ennis sur Hellblazer continue avec un deuxième volume, le troisième et dernier n’étant pas encore annoncé. Amateurs d’horreur, de cigarettes Silk Cut, de whisky et de cynisme à l’anglaise, vous avez frappé à la bonne adresse.

Contenu : Hellblazer #57-71 + Hellblazer Special #1

À l’enterrement de l’oncle de son vieil ami Chas, ce dernier et Constantine surprennent des inconnus en train de dérober des cadavres fraîchement inhumés. C’est le début d’une enquête morbide qui les emmènera dans le Yorkshire du Nord. Une fois cette affaire bouclée, Constantine aura à peine le temps de se reposer qu’il retombe sur une succube en cavale sur Terre – une vieille connaissance à lui, sans surprise – à qui il va essayer de rendre service tout en arrangeant un peu ses affaires toujours tendues avec le Diable. Les emmerdes tombent ensuite à nouveau sur une connaissance à Constantine lorsque sa nièce commet l’erreur de s’essayer à la magie noire pour suivre l’exemple de son oncle. Toutefois, celui-ci ne voit pas d’un très bon œil la perspective que la fille de sa sœur emprunte la même voie que lui, et va la dissuader… à sa manière. Puis, sur une note plus joyeuse, Constantine fête ses quarante ans, mais lui reste-t-il des amis pour boire avec lui, ou va-t-il une fois de plus devoir se contenter de la silencieuse compagnie d’un bourbon acheté au supermarché du coin ? Cet anniversaire est un peu le calme avant la tempête puisque deux intrigues s’enchevêtrent ensuite, l’une impliquant Constantine et l’archange Gabriel dans une sombre histoire de manipulation, la seconde faisant retomber, comme d’habitude, les conséquences des actions de Constantine sur la personne qui lui est le plus chère : Kit. S’ensuit une longue descente aux Enfers pour Constantine, et probablement les heures les plus noires de sa triste vie…

Pas une, mais plein d’intrigues

Comme on peut le constater, ce tome déborde de petites intrigues toutes aussi savoureuses les unes que les autres, la plus marquante étant sans doute celle qui tourne autour de sa relation avec Kit, portant le tome un peu comme le faisait son cancer pour le premier. Cependant, les numéros qui ne s’intègrent pas directement dans cette histoire n’alourdissent pas le tome, puisqu’ils permettent de varier le ton et les sujets, tout en aérant une lecture qui ne serait peut-être pas aussi digeste si elle imposait au lecteur de suivre une même histoire sur près de 500 pages. Ainsi, le numéro qui met en scène l’anniversaire de Constantine est particulièrement gai et optimiste, tandis que le premier arc où il fait un team-up avec Chas, ou l’histoire où il s’occupe de sa nièce, servent à montrer que derrière sa façade de solitaire endurci, Constantine garde tout de même quelques êtres chers auxquels il tient et pour lesquels il est prêt à donner beaucoup de lui-même.

Mais le plat de résistance, c’est sans doute la partie où Kit est tachée par les emmerdes dans lesquelles baigne Constantine. Puisqu’il est difficile d’en parler sans aller au but, et gâcher une surprise de taille, nous recommandons aux personnes allergiques aux spoilers de sauter le paragraphe qui suit.

Parce qu’en fait, Kit va planter Constantine. On a déjà vu à maintes reprises, que ce soit dans Preacher, Hitman ou Hellblazer, à quel point Garth Ennis maîtrisait ses figures féminines fortes, et avec quel réalisme poignant il dépeignait les relations de couple, évitant les poncifs dont souffrent la majorité de celles-ci dans la fiction. Il récidive ici à travers cette rupture avec un tel succès qu’il en arrachera sans doute des larmes au lecteur qui ne serait pas totalement insensible. Le réalisme des dialogues frise l’excellence, retranscrivant avec merveilles la perversité des disputes et des mots qui nous échappent parfois lorsqu’on est emporté dans une terrible colère et qu’on ne souhaite plus qu’une chose : faire du mal à l’autre, à n’importe quel prix. C’est ensuite particulièrement émouvant de suivre Constantine tandis que son monde s’effondre, et qu’il traverse un véritable deuil en tentant de survivre à cette rupture ; un lecteur qui serait déjà passé par une telle épreuve ne manquera pas de sentir son cœur se serrer en se reconnaissant dans les pensées noires qui tourment Constantine, passant sans crier gare de l’amertume, du regret, à la haine la plus violente. Mais cette haine, est-elle si éloignée de l’amour qu’il vouait à Kit ?

C’est que le salaud arriverait à nous faire pleurer

Honnêtement, c’est émouvant comme rarement des comics l’ont été. Et cette descente aux enfers s’achèvent par une sorte de résurrection, où Garth Ennis opère une analogie assez habile avec un pilote sur le point de se crasher en plongeant le lecteur en pleine Guerre Mondiale. L’épisode se conclue d’une façon plutôt optimiste, laissant le lecteur avec un goût lumineux en bouche, tout en lui ayant balancé quelques phrases assez justes sur la mort. C’est vraiment surprenant comme Garth Ennis parvient à allier, parfois dans le même numéro, un sérieux d’une lucidité inouïe à de la franche déconnade parfois bien cradingue. Le numéro de l’anniversaire de Constantine le montre ainsi tout aussi à l’aise, s’il était encore besoin de le prouver, dans le registre de l’humour, dépeignant Constantine en train de pisser sur les bottes du Phantom Stranger, accompagnant la scène d’un dialogue tordant, ou, plus tard, la créature du marais profitant d’un passage éclair pour faire pousser à vitesse accélérée un plant de marie-jeanne pour que Constantine et ses potes puissent le fumer. Iconoclaste ? Yep. Hilarant ? Aussi.

On tiquera peut-être à la mention du Phantom Stranger et de Swamp Thing, on peut en effet relever que ce deuxième tome affiche plus de connexions au reste du DC Universe, du moins à sa partie mystique, que le précédent. Zatanna fait ainsi une apparition, qui relève un peu du caméo. Le départ de Lucifer observé dans les pages de Sandman porte également des conséquences sur les affaires que Constantine entretient avec les maîtres de cet endroit depuis les magouilles qu’il a menées pour se tirer de son cancer.

Ça reste du Hellblazer, avec toute la dose d’horreur que ça implique

Mais malgré ces ponts vers le reste du DC Universe, l’identité du titre reste totalement préservée, accompagnant chaque intrigue d’une bonne dose d’horreur, parfois très gore, et baignant dans un fantastique savoureux imprégné de mythologie biblique. On a également droit aux retours des vampires aperçus dans le premier tome, comme annoncé. Comme d’ordinaire, notre Constantine se tire de chaque mauvais pas plutôt avec ruse et manipulation que grâce à de véritables sorts, qu’il utilise ici avec une parcimonie extrême, et autant dire que c’est une manière plus intéressante d’approcher le personnage que de le présenter comme un sorcier plus générique.

Concernant la partie artistique, on est soulagé de voir William Simpson s’effacer un peu pour laisser la place à Steve Dillon, le grand compagnon de Garth Ennis sur Preacher, au style atypique mais plutôt attachant. Le rapprochement avec Preacher est encore plus appuyé lors d’une intrigue démarrée par l’union charnelle d’une succube et d’un ange, évoquant avec anticipation le point de départ de la grande saga de Preacher.

Si le premier tome, après un démarrage tonitruant, pouvait très légèrement décevoir sur les singles aux intrigues indépendantes, cette suite s’approche du sans-faute scénaristique, capable d’horrifier le lecteur, comme de lui arracher des larmes, comme de le faire s’esclaffer jusqu’à en avoir mal au bide. Mêlant avec une justesse constante des registres tantôt légers, tantôt sérieux, cette deuxième partie du run de Garth Ennis n’a certainement pas à rougir de ses réussites ultérieures sur Preacher ou Hitman. S’agissant du scénar’, les cinq étoiles devraient être utilisées avec une extrême parcimonie. Mais là, on a vraiment affaire à du solide.