Review VF – Kid Eternity

KID ETERNITY tome 0
KID ETERNITY tome 0
Les points positifs :
  • Déconstruction sur déconstruction
  • Un génie avec une feuille blanche
  • Conceptuel à tous les niveaux
  • Duncan Fegredo
Les points négatifs :
  • « Inaccessible » est le mot que vous cherchez

« On aidait aussi les gens de temps en temps, pour se marrer. » – Kid


  • Scénario : Grant Morrison – Dessin : Duncan Fegredo
  • Kid Eternity – 21 aout – 168 pages – 15 €  – Urban Comics

Après la publication d’Enigma, mini en huit de Peter Milligan et Duncan Fegredo aux premières heures d’un imprint pressé de trancher avec la donne habituelle, Urban Comics enchaîne avec une oeuvre « compagnon », pour les fans de Grant Morrison (mais : les vrais) et de l’artiste peintre Fegredo, autre monument poussiéreux du bizarre et de la BD underground nourrie aux psychotropes : Kid Eternity. Ce que d’aucun qualifieraient de chef-d’oeuvre, d’autres de casse-tête et d’autres encore – probablement les plus nombreux – d’exercice de style en forme de paluche intellectuelle mal dessinée, appelons le aujourd’hui « oeuvre atypique », histoire de ne vexer personne. Kid Eternity, un souvenir de l’époque où Vertigo, heureux d’avoir bâti son arche de survie, pour échapper au cataclysme culturel des comic books dans la décennie 1990, s’acharnait à publier du hors-normes sans contraintes de compréhension ou peur de perdre le lectorat. Une décennie d’exercices narratifs et artistiques dans l’héritage de Moore et de sa passion pour la déconstruction des récits naïfs et automatiques du golden et du silver age. Enigma racontait comment la BD d’enfance du héros le rattrapait dans sa vie moderne pour générer une vague de tueurs en séries, Kid Eternity retrace comment une BD anecdotique et farfelue des années ’40 dissimulait peut être un message tortueux sur la mort, l’au-delà, l’existence et la cosmogonie divine du bien et du mal. Jusqu’ici, tout est cohérent.

kid eternity 1

On retrouve au scénario Grant Morrison, qui n’a alors pas encore écrit les pages qui le feront connaître chez DC Comics, et reste à l’heure actuelle un jeune scénariste en vue sur des séries de qualité, mais sous le radar. Animal Man lui permettra de poser une première pierre sur une « grosse » série de super-héros et d’étudier son thème de prédilection, le rapport auteur-fiction, quand la Doom Patrol lui permettra de laisser aller son imaginaire sur une série classique de super-héros supposés, vers des idées inhabituelles dans cette sphère là. On lui confie Kid Eternity comme on a confié Sandman à Neil Gaiman ou Shade à Peter Milligan. L’idée n’est pas encore de faire de Vertigo le porte étendard du creator-owned qu’il deviendra au fil des ans, mais de puiser dans la richesse des vieilles séries acquises par DC au cours de rachats pour la plupart inutiles de vieux personnages du boom des comics depuis tombés dans l’oubli. En réaction à ce que Moore qualifiera un jour « d’enfantillages », les auteurs ont en face d’eux toute une histoire de héros pour enfants sortis de nulle part et rien d’autre que l’envie de faire de ces séries des histoires pour adultes. On retrouve donc le Kid, héros de la série Kid Eternity entamée en 1942, après sa première relance chez DC Comics. Le héros a passé trente ans en enfer, symbole de ses décennies de disparition des étales de comics shops.

Le Kid garde ses pouvoirs : invoquer en prononçant le mot « éternité » des personnages de l’histoire qui combattront à sa place les ennemis sur sa route. On garde également le Keeper, « M. Gardien » en VF, sidekick angélique du Kid dans les années ’40. C’est à peu près tout ce qui est sauvé de la série initiale, quand le récit démarre et voit en son héros un humoriste raté dans le couloir de la mort, interrompu dans son chemin vers l’autre monde par Kid, qui lui propose de l’aider à empêcher une cohorte de démons de s’emparer de l’existence. S’en suit une catabase (« descente aux enfers », clin d’oeil à mon bro de l’impossible TheRiddler pour cette précision bienvenue) dans un au-delà torturé, et superbement rendu par les peintures de Duncan Fegredo, sorte de Dave McKean bis qui livre ici des planches somptueuses, d’un imaginaire d’horreur psychédélique sans bornes aux couleurs tantôt glaciales tantôt hyper saturées. Les héros visitent l’enfer, et découvrent le véritable but de leur voyage et de leur condition.

kid eternity 2

À travers ce cheminement, Morrison mêle aux idées de religion de grands thèmes philosophiques, métaphysiques, puise dans la littérature et la culture musicale qu’il affectionne tant, pour livrer un tout cohérent et une réflexion sous acides sur l’existence et l’avancée de l’être humain vers le fameux surhomme de Nietzsche, l’être abouti qui supplantera l’homme au bout de la route vers l’accomplissement personnel. À ce titre, Kid Eternity, en tant que projet de ramener du passé un vieux personnage du golden age, n’est qu’un prétexte, une feuille blanche pour un auteur hyper créatif, qui profite de cette opportunité inouïe pour livrer sa version de la Divine Comédie. Figure de l’auteur, méta-fiction, hommage aux grands écrivains et mélange de genres, on sent les habituels tics d’écritures de Morrison avant que l’auteur n’ait acquis la maturité (ou la sobriété) pour retenir et diluer son propos. Kid Eternity est, à ce titre, une grosse baffe au visage du lecteur, un mélange d’idées étranges mises ensemble au détriment total de la didactique ou de la cohérence d’ensemble. Le récit se découvre en même temps que son personnage, perdu au milieu de nulle part et sans aucune indication sur la direction à suivre.

Difficile d’ajouter là-dessus sans en remettre une couche sur les planches de Duncan Fegredo. Artiste peintre loin du coup de crayon musculeux ou sexualisé des années ’90, le style parfois très confus des dessins est au diapason de l’histoire qu’ils illustrent. En vrac, fourre-tout, parfois confus ou même incompréhensibles, mais se dégage d’eux la même force qui émane du scénario de Morrison. À mesure que le récit avance et pose clairement ses enjeux, les découpages s’apaisent, comme pour faire correspondre visuellement la logique du tout cohérent contée par l’auteur britannique, et s’en faire un écho visuel gorgé d’idées aussi folles que l’écrit. Un imaginaire entre le glauque et l’halluciné enveloppe l’aventure de Jerry et du Kid, à l’image du reste, déroutant mais captivant.

Bon, sur ce, et pour les trois qui auraient continué à lire après « cosmogonie divine du bien et du mal », que retirer de Kid Eternity ? Une histoire hors-normes dans la tradition de la BD underground. À l’inverse des récits de Moore qui accompagnaient le lecteur depuis la naïveté timide du golden age jusqu’à son monde d’adulte désespérément humain, certains auteurs de la première heure de Vertigo ont décidé de trancher dans le gras. Plus qu’une réinterprétation d’un vieux personnage, Kid Eternity en tant que projet est une réponse à cette vieille idée des comics pour enfants, en opposition complète avec l’écriture d’une BD de super-héros. On rentre dans la catégorie « horreur psyché », voire « horreur métaphysique », qui cherche dans le prétexte des gars en collants et des souvenirs d’enfance de périodiques à quinze cents qu’ont connu vos grands-parents une vérité plus large sur le sens de la vie, écrite avec de l’envie et de la drogue par un auteur résolument fou. Donc ? C’est génial, posez votre relié de Geoff Johns ou Snyder et sautez à pieds joints dans le monde du comics marginal, au pire, vous n’aurez perdu qu’une quinzaine d’euros.

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Corentin

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2 Commentaires
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zeppeli
8 années il y a

FIVE FUCKIN’ STARS. ‘NUFF SAID.

Sasahara
Sasahara
8 années il y a

conceptuel, méta-fiction, idées étranges sans cohérence…. mais ça ressemble à un vrai concentré de tout ce qui fait que Morrison me tombe des mains d’habitude !
Encore 15 euros d’économisés !

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superman
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