Review VO – Prez #1

Les points positifs : Une belle satire de notre société Inventif, absurde et drôle Artistiquement attachant Les points négatifs : Ca peut aller encore plus loin, sûrement

« Amber, with the passage of the bill, taco drone will feed america’s poor, free of charge ! » – Sénateur Jay Thorn

• Scénario : Mark Russell – Dessins : Ben Caldwell – Encrage : Mark Morales – Couleurs : Jeremy Lawson – Couverture : Ben Caldwell

• DC Comics – Prez #1 – 17 juin 2015 – 32 pages – $2.99

Le lancement du DC You par l’éditeur américain DC Comics est, selon leurs propres mots, l’occasion de proposer une série pour chaque lectorat, et d’avoir une plus grande diversité dans leur gamme de titres. Parce qu’à ce qu’il paraît, y aurait des lecteurs qui voudraient autre chose que du Batman. On aura un peu du mal à les comprendre, mais soit. Découvrons donc ensemble Prez, revival d’une série en quatre (ou cinq) numéros publiée entre 1973 et 1974, et qui nous montrait un président des états-unis adolescent – chose qui a pu se faire en baissant l’âge auquel on peut prétendre être élu. Alors dans un contexte différent (lié à l’époque aux baby-boomers), le concept est ré-utilisé aujourd’hui au travers d’une mini-série de douze numéros dont voici l’introduction. Et si l’on pouvait se douter que l’idée d’un teenager (ici, une adolescente du nom de Beth Ross) s’appliquerait très bien aux codes de notre société moderne, les auteurs font encore mieux et nous livrent une satyre jubilatoire de l’époque à laquelle nous vivons – ou plutôt, celle dans laquelle nous vivrons.

Bienvenue en 2036 donc (et pour ceux qui s’inquiètent de la continuité : aucune indication ne nous permet de dire si on se trouve sur Earth O pour le moment, mais là, très franchement, c’est vraiment pas important pour apprécier l’histoire). Beth Ross est une ado qui, comme beaucoup, travaille dans la restauration rapide et fait des vidéos de tuto pour apprendre à ses collègues à bien utiliser le matériel en cuisine. La politique n’est plus vraiment ce qu’elle était : l’âge légal pour être élu a drastiquement baissé, à vrai dire la fonction présidentielle ne semble plus être aussi importante, puisqu’elle est commanditée dans l’ombre par de mystérieux et influents hommes politiques. Les gimmicks des réseaux sociaux sont présents partout, à la tv, dans les rues, les jeux télévisés sont encore plus absurdes que maintenant. Et on vote par Twitter, aussi. Mark Russell imagine, à peine 20 ans dans le futur, une société qui a complètement embrassé ses travers pour nous proposer une vision délirante, complètement absurde, où l’on propose sérieusement en plein débat télévisé de fabriquer des drones livreurs de tacos pour régler le problème de malnutrition des pauvres. Et où les procès via Facebook existent. A chaque page, que ce soit visuellement ou dans le texte, l’auteur fait preuve d’une inventivité géniale pour tourner en dérision ce qui peuple notre quotidien, et en poussant les choses vraiment très loin. On rigole beaucoup, parce que c’est vraiment drôle, et on se dit quand même qu’on est pas si éloignés de cette réalité complètement folle, dont certains prémices s’observent déjà au quotidien.

Prez veut raconter comment Beth Ross va être élue sur Twitter, à force de likes et de buzz au travers de différents médias. Sa candidature n’est pas spontanée (merci les Anonymous), son élection loin d’être garantie à cause de règles politiques complètement farfelues. Mais on sent qu’elle veut le faire, car on lui donne quand même un leitmotiv, assez classique pour le coup : son père qui est gravement malade et a besoin d’argent, vu que sa demande de fonds sur SickStarter (hé oui, ils ont osé) ne marche pas très bien. Il est vrai qu’on ne connaît pas encore trop notre héroïne, à peine dépeinte, puisque l’auteur s’amuse ici plutôt à nous présenter le futur farfelu dans lequel elle vit. Mais on se laisse porter au fil des pages, et même si l’on sait quel sera le résultat de l’élection, on savoure avec plaisir sa mise en place, et le numéro occupe tout de même une place de mystère, avec ce complot politique qui se met en place, illustré par des hommes dont le visage est masqué par de jolies émoticones géantes, avec à leur tête un Mister Smiley – concept repris de la série d’origine des années septante. Oui, j’ai dis septante. La transformation suisse de DC Planet ne peut plus être arrêtée…

Je suis content de voir une série comme Prez (enfin, une mini-série) voir le jour et pour le coup, on se trouve à quelque chose de vraiment différent de ce que l’éditeur propose (pour peu, ça pourrait très bien être publié chez Vertigo, c’est sûrement le côté « teenage » qui l’en a empêché – puis c’est vrai que c’est quand même bon enfant pour le moment, on parle pas de sexe ou de drogues). Je ne dis pas que c’est le seul titre différent, bien entendu, mais il se démarque, et comme il est conçu pour être une mini-série, j’ai grand espoir que l’auteur puisse exploiter son idée jusqu’au bout (le Sneak Peek du mois précédent était déjà assez barré lui aussi). Au niveau artistique, on peut dire que c’est fort joli, plein de couleurs, que l’héroïne est attachante ; mais ce qu’on s’amusera le plus c’est à aller regarder chaque case en détails, pour voir si Ben Caldwell ne s’est pas amusé à rajouter des petits détails à ses scènes, des hashtags discrets ou autres, qui viennent ajouter à l’humour déjà présent dans le texte.

C’est donc une très bonne surprise que j’ai eu en découvrant Prez. Avec son idée de base un peu absurde, Mark Russell dépeint une société future loufoque et se moque allègrement de la notre en poussant certaines caractéristiques très « modernes » à leur paroxysme. Résultat : on rit beaucoup, on réfléchit un peu, et on se laisse porter par l’histoire de Beth Ross, avec cette petite dose de mystère qui nous rappelle que tout n’est pas comédie dans cette mini-série. Servie par un univers coloré et attrayant, Prez est pour moi un joli coup de coeur.